Marche républicaine : Et après ?

Plus de 3,7 millions de personnes ont battu le pavé dimanche, à Paris, en province et en outremer. Une mobilisation historique dont la postérité reste à écrire.

Michel Soudais  • 12 janvier 2015 abonné·es
Marche républicaine : Et après ?

Une telle mobilisation est historique. Elle dépasserait même le record historique établi à la Libération. Au moins 3,7 millions de manifestants dans la France entière, dont 1,2 à 1,6 million à Paris selon le ministère de l’Intérieur, ont défilé, sans aucun incident, dimanche.
A Paris, où la marée humaine a fortement débordé du parcours prévu – un troisième parcours « non officiel », emprunté notamment par le Front de gauche, a quitté la République par le Boulevard du Temple pour rallier la place la Nation via Bastille –, le ministère de l’Intérieur n’a pu établir un comptage précis. A Lyon, où  il a fallu rallonger le parcours pour accueillir la foule, plus de 300.000 personnes ont défilé. Et dans de très nombreuses villes moyennes, les chiffres donnent la mesure de l’événement : 20.000 manifestants pour 45.000 habitants à Carcassonne, 25.000 à La Roche-sur-Yon (53.000 habitants), 30.000 à Lorient (60.000 hab.), 30.000 à Saint-Brieuc (45.000 hab.), 27.000 à Cherbourg (37.000 hab.), etc.

Quel était le message de ces manifestations ? « Je suis Charlie » y était omniprésent . Scandé, reproduit sur des pancartes, autocollants ou encore t-shirts, ce mot d’ordre pouvait s’écrire en plusieurs langues, en noir et blanc ou sur un cœur rouge. On le retrouvait également entouré de reproductions de unes de l’hebdomadaire satirique, drapeaux, et autres déclarations d’amour à la liberté : « Informer tue – soutien à Charlie Hebdo et aux victimes » , « Je suis Charlie même pas peur »…
« Liberté de penser, liberté de croire, liberté de vivre, liberté de rire » , ou encore « Je suis flic, je suis juif, je suis la République » , « La liberté se moque des trous de balle » , pouvait-on lire sur des pancartes. Et sur une autre : « Je suis Charlie et je suis libre » sous laquelle ont pouvait en lire une autre portant l’inscription « Touche pas à ma liberté » .
Dans le cortège, résonnaient des cris répétés de « Charlie » suivis de trois applaudissements rythmés. « Charlie berté, partout sur la planète » , « Paris stand up for freedom » (« Paris se lève pour la liberté », ndlr), « Faites l’humour pas la guerre » , ont scandé les manifestants, perdus sous une marée de pancartes et crayons brandis ou plantés dans les chapeaux.
Pourtant cette aspiration à la liberté, à l’égalité et à la fraternité n’était pas, dimanche soir, le premier message retenu par les grands médias.

Pour nombre de nos confrères , à commencer par les grandes messes du 20h, cet élan populaire était présenté comme une « marche contre le terrorisme ». Comme si l’événement le plus marquant du jour avait été la participation fugace d’une cinquantaine de chefs d’Etat et de gouvernement au cortège, et à bonne distance de ce dernier.

Cette présentation de l’événement satisfera sans doute le gouvernement, qui a pris l’initiative de donner à cette marche, initialement conçue comme un hommage aux victimes, une tournure géopolitique en invitant des chefs d’Etat et de gouvernement qui n’étaient pas tous, loin s’en faut, des protecteurs de la liberté d’expression. Son objectif ? Afficher sur fond d’unité nationale une unité internationale dans ce qu’il appelle « la guerre au terrorisme ». « Il faut que l’état d’esprit de ce 11 janvier reste , a déclaré Manuel Valls au terme de cette journée. C’est un nouvel état d’esprit. » Dont il espère – il n’en fait pas mystère – qu’il favorisera l’adoption d’un nouvel arsenal de mesures sécuritaires. Avec l’appui des dirigeants de la droite dont toutes les déclarations allaient peu ou prou dans le même sens : « Cette marche ne doit pas rester sans lendemain. Il n’y a plus de place pour l’angélisme. Il s’agit de gagner la guerre contre le terrorisme. » Dans la matinée, le grand rabbin Korsia avait réclamé « peut-être des moyens d’exception » pour « stopper ceux qui sont une menace pour la société » .

Marche pour la liberté ou contre le terrorisme ? La lecture qui sera donnée dans les jours qui viennent de l’incroyable mobilisation civique de ce week-end est désormais un enjeu politique. A ce titre, on peut regretter qu’à cette heure ni le chef de l’Etat ni le premier ministre n’ait réagi comme avait su le faire le premier ministre norvégien Jens Stoltenberg après le massacre d’Utoya : « J’ai un message pour celui qui nous a attaqué et pour ceux qui sont derrière tout ça : vous ne nous détruirez pas. Vous ne détruirez pas la démocratie et notre travail pour rendre le monde meilleur. (…) Nous allons répondre à la terreur par plus de démocratie, plus d’ouverture et de tolérance.» Il n’est pas encore trop tard…

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