L’enfer, c’est l’exil

Brigitte Jaques-Wajeman met en scène une pièce de Henning Menkel où deux boat people débarquent en Scandinavie. Un ton sartrien.

Gilles Costaz  • 24 janvier 2007 abonné·es

Henning Menkell n’est pas de ces écrivains à succès qui s’angoissent sur l’avenir du monde assis sur leur compte en banque. Le Suédois, créateur du commissaire Kurt Wallander, qui compte des lecteurs fanatiques dans le monde entier, partage son temps entre son pays et l’Afrique. Comme il adore le théâtre, il anime une compagnie, Teatro Avenida, dont l’activité est autant politique et sociale qu’artistique. Il écrit un peu moins de pièces que de romans, mais n’en est pas moins auteur de théâtre. La saison dernière, Jean-Pierre Vincent avait fait découvrir les Antilopes , qui se déroule dans le milieu diplomatique suédois en Afrique (que de racisme sous les belles paroles !). Aujourd’hui, Brigtitte Jaques-Wajeman monte Ténèbres , qui se situe à un autre noeud de l’attelage qui réunit l’Occident riche et des pays pauvres.

Deux boat people ont échoué dans un appartement en Suède. Comment ont-ils atterri là ? Ces deux malheureux sont arrivés sur une embarcation. Comment peuvent-ils vivre en Scandinavie alors qu’aucun réseau ne les prend en charge ? Peu importe. Il suffit de voir ce père et sa fille, venus d’un pays où l’homme fait régner sa loi sur la femme, comme des exilés perdus dans n’importe quel État d’Europe. Ils ne se cachent pas vraiment, mais savent qu’ils ne doivent pas être repérés.

Leurs relations s’enveniment. Le père veut garder le contrôle de tout, organiser leur vie. La fille a conscience qu’il a partiellement perdu la tête, qu’il peut passer à tout moment de la réflexion posée à la colère illogique, et qu’il a de la brutalité en lui, jusqu’à l’envie de viol. Comment vont-ils trouver la solution de leur survie ?

La force de la pièce vient de son double pouvoir critique : elle dénonce l’injustice du monde et, dans le même temps, la nature machiste de civilisations que nous maintenons dans une situation d’infériorité. La construction et la langue de Ténèbres ne sont cependant pas très modernes. Intelligemment structurée, la pièce demeure dans le moule sartrien, dans le cadre de ces affrontements où tout se dessine rapidement et avance à coups de contrastes. L’ensemble reste, en tout cas, lucide, aimant, digne, généreux. Et fort bien traduit sur le plateau par la mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman, attentive à la variation de chaque note. Rachida Brakni détaille sous une provisoire placidité toute une gamme d’émotions, avant d’être une tragédienne aux inflexions toujours nuancées. Maurice Benichou sait être à la fois de terre et d’éther, solide et hagard, doux et féroce. C’est un régal que d’observer cet humain animal changer sans cesse d’état d’âme. Beau théâtre de passion et de compassion.

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