Une loi inutile et dangereuse

Le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, actuellement en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, inquiète les professionnels du secteur. Ils mènent
une semaine d’action contre ce texte et dénoncent un « artifice médiatique ».

Xavier Frison  • 24 janvier 2007 abonné·es
Une loi inutile et dangereuse

L’utilité de certains textes législatifs échappe parfois aux premiers concernés. C’est le cas des professionnels de la prévention, perplexes face au projet de loi relatif à la prévention de la délinquance et mobilisés toute cette semaine [^2] contre le texte.

Actuellement en deuxième lecture à l’Assemblée, le projet de loi est dans les cartons du gouvernement depuis le début de la mandature, voici cinq ans. Or, pour les acteurs du secteur, même après de longues discussions parlementaires (voir Politis n° 919), auxquelles ils n’ont d’ailleurs pas été conviés, rien ne semble justifier la mise en place d’une usine à gaz modifiant la réglementation de domaines aussi divers que l’action sociale, le code des collectivités territoriales, l’éducation, la justice, mais aussi le permis de conduire ou la psychiatrie. Un plat trop riche au fumet très politique : « C’est un projet de loi absolument inutile, les dispositifs nécessaires existent déjà », tranche Bernard Heckel, directeur du Comité national de liaison des associations de prévention spécialisée (CNLAPS).

« Tout ce qui est prévu dans ce projet de loi existe déjà. À aucun moment on n’a pris la peine d’évaluer les dispositifs en place de prévention de la délinquance » , renchérit Michel Franza, directeur adjoint de l’Union nationale des associations de sauvegarde de l’enfance, de l’adolescence et des adultes (Unasea) : « Il est temps de marquer une pause pour évaluer l’existant. Il faut arrêter d’utiliser la loi comme un artifice médiatique. »

« Ce texte est un coup médiatique » , assène-t-on encore dans cette association socio-judiciaire du Sud de la France. Autant de messages à peine voilés en direction du ministre de l’Intérieur, accusé par les acteurs de la prévention de la délinquance d’utiliser le projet à des fins électoralistes.

Car s’il est trop tôt pour jauger le fond du texte, l’esprit de la loi est clairement délimité. Passé maître dans l’art de lâcher des leurres aux intitulés rassurants gonflés à l’idéologie sécuritaire, Nicolas Sarkozy, pilote du projet, veut transformer la prévention spécialisée en un nouvel outil de répression pure et dure : « C’est un texte exclusivement orienté vers la répression , opine Michel Franza. Par exemple, la distinction majeur-mineur disparaît pour ne plus prendre en compte toutes les problématiques sociales, médicales et de prévention spécifiques aux mineurs. » Non sans mettre en garde contre les analyses hâtives d’un texte qui n’est « pas encore voté et va bouger » , Bernard Heckel fustige lui aussi l’esprit de la loi : « C’est un changement de société qui s’annonce. La prévention ne peut pas se réduire au traitement de la délinquance. Or, cette loi apporte pour seule réponse à la prévention sociale la répression de la délinquance. »

Sur le plan organisationnel, le texte est tout aussi décrié. Le rôle de pivot du maire dans le dispositif de prévention, le chevauchement des responsabilités et des prérogatives entre travailleurs sociaux, présidents de conseils généraux et édiles fait craindre le pire. Pour Didier Dubasque, secrétaire national de l’Association nationale des assistants de service social (Anas), « on ne va plus savoir qui fait quoi. Ce projet de loi m’a l’air très compliqué. En termes d’organisation du travail, je ne vois pas comment ça peut marcher vu le nombre de situations traitées. Il faut savoir qu’une assistante sociale de secteur traite 150 dossiers dans l’année, soit 30 ou 40 en simultané. 70 % de ces dossiers nécessitent l’expertise de plusieurs intervenants. En Loire-Atlantique, par exemple, il y a plus de 500 assistantes sociales. Multipliées par le nombre de dossiers, cela donne une somme d’informations énorme, concernant des centaines de familles, à transmettre au maire, dont ce n’est pas le métier. C’est ingérable. D’autant que, si les maires possèdent l’information, ils reçoivent aussi les responsabilités qui vont avec. C’est un vrai cadeau empoisonné pour eux. »

Encore faut-il que le projet de loi, « qui concerne tout le monde » selon les mots de Bernard Heckel, soit définitivement voté un jour : présidentielle oblige, les travaux parlementaires s’arrêteront fin février. Le nombre incalculable de décrets d’application à publier joue aussi contre la transposition concrète du futur texte. Bref, « il va falloir mettre tout ça en musique, la route est longue » , prédit Michel Franza. À moins, bien sûr, que le père spirituel du projet n’accède à la présidence en mai prochain.

[^2]: Semaine d’action jusqu’au 26 janvier : www.abri.org/antidelation

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