Fin d’ordonnance

Le quotidien de juges et d’éducateurs face à la délinquance des mineurs. Un plaidoyer contre les élans de répression.

Jean-Claude Renard  • 22 février 2007 abonné·es

À l’écran, un premier môme, âgé de dix-sept ans. Pour « se défouler et calmer [ses] ardeurs » , il a brûlé une voiture. Le feu s’est propagé à d’autres véhicules. Arrestation. Comparution illico. Sanction : un centre de placement immédiat (CPI), pour mettre « un frein à cette escalade de violence » . Neuf mois. Un foyer d’accueil pour jeunes délinquants. Au programme, scolarité, psychologie, santé, projet d’avenir. Les éducateurs ont trois mois pour établir un bilan de la situation des mineurs. Les lieux ressemblent à une cocotte-minute. À l’intérieur, ça bouillonne. Accrocs, chaos et verbe haut. Le même môme sera ensuite envoyé dans un centre d’éducation renforcée (CER). On y compte un éducateur par mineur. D’un établissement à l’autre, ce sont là des structures qui répondent à l’ordonnance de 1945, qui impose un projet éducatif avant toute répression.

Autre cas, celui d’un adolescent qui traîne avec lui une vingtaine de délits (vols de voitures, de téléphones, dégradations diverses). Même passage au CER, et l’obstination d’une éducatrice qui « vise les tripes » du gamin pour mieux se faire entendre. Mais, au bout des récidives, c’est la maison d’arrêt. Car, contrairement aux idées reçues, la loi permet en effet d’incarcérer les mineurs. En 2005, 6 200 ont été condamnés à de la prison ferme.

Un troisième lascar, multirécidiviste, au carnet de bal impressionnant, a déjà passé quatre mois derrière les barreaux. Il a à peine 17 ans. Toujours en 2005, 82 000 mineurs délinquants sont passés devant la justice. On compte moins de 10 % de récidivistes. Parmi ceux-là, Jean-Thomas Ceccaldi et Samuel Luret en ont donc suivi trois, tout au long d’une année, soulignant combien « les frontières entre l’enfance en danger et la délinquance des mineurs sont étroites » . Portraits floutés, plans rapprochés sur une partie du visage. Et, tout en les suivant, les réalisateurs ont recueilli les voix des juges des enfants et des éducateurs. De part et d’autre, il s’agit d’un travail oscillant entre la patience et la fermeté. Avec des impressions de « sauve qui peut ». Il existe 400 juges seulement pour traiter 200 000 affaires par an, entre audiences, admonestations et mesures de réparation. Or, dans 80 % des cas, un seul passage devant un juge suffit à éviter la récidive. Idem pour les centres éducatifs fermés (CEF), avec leurs 150 places sur l’ensemble de l’Hexagone. Du coup, les mineurs sont placés par défaut, loin du projet éducatif initial. La Juge et les lascars tend précisément à démontrer le manque de moyens mis en place, les dysfonctionnements du système, combien juges et éducateurs travaillent de concert pour éviter la prison à des mômes en souffrance. « Si à chaque délit on répond par la détention, on prend le risque d’un effet contraire à ce que l’on souhaitait, observe une juge, avec une banalisation de la détention. Dans ce cas, on aura tout perdu et poussé l’échec sur le long terme. » Aujourd’hui, 95 % des mineurs cessent leurs délits à l’âge adulte. Voilà justement les fruits de l’exercice des juges et des éducateurs. Pour autant, l’esprit de la loi qui place l’éducatif au coeur du dispositif est remis en cause. Enjeu électoral, la délinquance juvénile est soumise aux surenchères dans le cadre d’une réforme : suppression de l’excuse de minorité, allongement des peines, créations de nouvelles infractions, placement d’office en psychiatrie… C’est en somme bientôt la disparition de l’ordonnance de 1945.

Médias
Temps de lecture : 3 minutes