Gailly sans oubli

Christophe Kantcheff  • 8 février 2007 abonné·es

Deux journalistes, Brighton et Schooner, roulent vers la Bretagne, où les attend une violoncelliste. Elle fut très connue, mais sa carrière s’est brusquement interrompue. Leur chronique s’intitule : « Que sont-ils devenus ? » Drôle de titre, auquel leur patron préfère : « les Oubliés ». Il a raison. Et drôle d’idée journalistique, peut-être. Encore que. Il y a bien des oubliés plus présents que nombre d’individus qui encombrent l’actualité.

Les deux journalistes n’arriveront jamais à bon port. C’était écrit. Écrit dans l’exergue du treizième roman de Christian Gailly : « C’est tuant, les souvenirs. » Signé Samuel Beckett. Attention, il y a du jeu sur les mots. Ce ne sont peut-être pas les souvenirs qui tuent directement. Plutôt, en l’occurrence, un accident de voiture. Mais bon. Il se pourrait qu’il ne soit pas de tout repos de vouloir se plonger dans le passé.

Et puis il y a ceux qui disparaissent sans mourir (la violoncelliste), ceux que l’on quitte sans un regret et qui pourraient être morts (comme la femme de Brighton) ou ceux qui meurent sans cesser d’être là. Comme Schooner. Même si, après crémation, le narrateur a raison, « il ne reste rien de Paul Schooner » . Les Oubliés est un roman mélancolique. Mais quand on y annonce une mort fuse un rire (plus ou moins nerveux, tout de même). Pas un hasard si Beckett est en exergue.

Les phrases des Oubliés sont courtes. Parfois, elles s’arrêtent avant terme. Comme le destin des hommes. Mais il faut cuire les nouilles sept minutes pleines pour qu’elles soient moelleuses. Une scène sur la cuisson des pâtes, au coeur du roman, ça peut paraître burlesque. Pas tant que cela. La cuisson est menée à son terme. Une réussite. De même, Brighton ira jusqu’au bout du projet qu’il avait avec Schooner : rejoindre la violoncelliste en Bretagne. Petit à petit, les suites pour violoncelles de Bach imprègnent le roman de leur sensibilité tenue. Les Oubliés s’achève même sur une note sereine. Comme la cuisson des nouilles : une réussite.

Culture
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