La couleur des chemises noires

Une histoire du fascisme italien : un récit convenu, déroulé avec beaucoup d’artifices.

Jean-Claude Renard  • 8 février 2007 abonné·es

Dressons le tableau : du côté de Caporetto, fin octobre 1917, les armées allemandes et autrichiennes lancent une attaque inattendue sur les positions italiennes. L’armée transalpine bat de l’aile. Les renforts britanniques et français permettent à l’Italie d’échapper à une cuisante défaite. Au moment de l’armistice, elle fait partie des vainqueurs de la Grande Guerre. Dans le dépeçage de l’empire colonial allemand, l’Italie n’obtient pas les territoires convoités en Afrique. Au traumatisme de Caporetto s’ajoute le sentiment d’être traitée comme une nation de second ordre. Frustration générale. En 1919, à Milan, un instituteur devenu journaliste participe à la création d’un mouvement nationaliste. Benito Mussolini méprise la démocratie libérale et prône la violence. Ses groupes de combattants adoptent la chemise noire… Premiers pas d’un documentaire relatant, de façon chronologique, l’histoire du fascisme italien, de la fin de la Première Guerre mondiale à l’exécution du Duce en avril 1945… Le tout en couleurs. Ecco !

Curieux titre, on en conviendra : le Fascisme italien en couleur . Comme s’il fallait (re)donner des couleurs au fascisme. Des airs de contemporanéité. On se souvient de ce documentaire fameux, titré Ils ont filmé la guerre en couleur (2000), consacré à la Seconde Guerre mondiale, constitué précisément d’images d’archives tournées en couleur. Images en couleur, donc. Non pas colorisées, comme ici. Colorisées comme l’ont été Jour de fête ou les Tontons flingueurs . À vrai dire, minant l’authenticité des archives et du propos, ce coloriage n’apporte rien ici ; sinon des effets d’argentiques d’arrière-grand-mère, repeints à la main, dans les anonymes studios. Mais, non content de donner des couleurs au fascisme italien, Chris Oxley ajoute à son film des interventions ponctuelles d’historiens (il faut bien apporter du poids et une caution), et surtout des scènes de fiction reconstituées. Sans doute pour boucher les trous, les « absences » dans les archives. Sans doute parce que les producteurs pensent toucher peut-être ainsi un plus vaste public. S’y succèdent « joliment » des soldats en retraite chevauchant dans un pré, une tablée de notables hésitant à soutenir Mussolini, une poignée de chemises noires tabassant les premiers venus retors, quelques autres chemises encore représentant la marche sur Rome, une institutrice qui récite les commandements du fascisme à ses élèves…

Voilà un autre genre, dirait l’auteur, docu-fiction en couleur, façon BD, mêlant les ingrédients, puisés ici et là. On ne s’étonnera plus alors qu’un (télé)spectateur ne distingue pas un documentaire d’une fiction ou d’un reportage. L’emprunt au genre fictionnel, l’ajout de scènes reconstituées ne font en réalité que souligner la faiblesse de l’imagination dans la narration. Ce dont ne manquait pas Ettore Scola pour réaliser Une journée particulière . Rehaussée par l’interprétation de Marcello Mastroianni. Ecco ancora . Fiction qui en dit plus (et tout) sur le fascisme italien. Sans artifice ou effet de manche, sans coloriage, mais dans l’humilité. Juste de l’intelligence.

Médias
Temps de lecture : 3 minutes