Tchétchénie mon amour…

Le documentaire de Florent Marcie, « Itchkéri Kenti », n’est pas un film militant mais une plongée dans le quotidien et le caractère des Tchétchènes.

Christophe Kantcheff  • 8 février 2007 abonné·es

Itchkéri Kenti : le titre du documentaire de Florent Marcie a été maintenu dans sa langue originale (« les fils de la Tchétchénie ») pour rester au plus près de son sujet. Pour autant, Itchkéri Kenti n’est pas un film militant. Pas de discours asséné, mais un commentaire selon la nécessité, pour situer géographiquement ou historiquement. Pas de cause à défendre a priori , mais une plongée progressive dans ce qui fait le quotidien et le caractère des Tchétchènes. Plongée progressive, en effet, au long de ses 2 h 25, une durée qui place Itchkéri Kenti parmi les films hors normes.

Extraordinaire, il l’est à plusieurs titres. Notamment par ce qui fait sa « matière première » : des images tournées en 1996, lors de la première guerre de Tchétchénie, un an après l’invasion du pays par les Russes. On pourrait s’étonner que le cinéaste ne les ait pas utilisées plus tôt. On s’en félicitera, au contraire. D’abord parce qu’elles offrent un éclairage historique aux événements de ce moment, en particulier sur les manifestations pacifiques indépendantistes. Ensuite, parce qu’elles n’ont rien perdu de leur contemporanéité : non seulement la Tchétchénie est toujours en proie à l’oppression russe, mais les images de ce peuple en lutte pour sa liberté et son indépendance ont quelque chose d’intemporel, autrement dit d’universel. Enfin, le générique final informe sur le sort de plusieurs des protagonistes du film durant les dix ans écoulés : la plupart ont été tués. Ce qui donne une consistance aux propos de ceux qui considèrent que les crimes de guerre perpétrés en Tchétchénie sont des crimes contre l’humanité.

La construction du film est exemplaire. Une approche d’abord générale permet de comprendre le pourquoi et le comment du pays. Ainsi, Florent Marcie rencontre deux jeunes soldats de 18 ans qui ont déserté l’armée russe, parce que cette guerre, disent-ils, est absurde. Il met en évidence le lien de cause à effet entre la revendication d’indépendance et la déportation infligée aux Tchétchènes, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, par les Soviétiques. Les images qu’il prend sur la place centrale de la capitale, Grozny, sont impressionnantes : un peuple debout, entouré de ruines, notamment celles du palais présidentiel, réclame le départ des armées russes, selon la méthode la moins violente qui soit, usuelle dans l’Europe de l’Ouest en paix : le meeting. Sauf qu’ici, il est question de la survie des manifestants.

La seconde partie du film en est l’illustration. Le cinéaste se trouve aux côtés d’une famille du village de Novo Grozny quand les Russes l’attaquent. Les Tchétchènes que montre Florent Marcie sont inoubliables. D’une détermination à toute épreuve, et donc d’un courage inouï, ils portent un double regard sur eux-mêmes, d’où leur humour, voire leur autodérision à fleur de peau. La seule Tchétchène parlant français que le cinéaste a rencontrée lui fait, en riant, cette confidence à propos de la religion et de ses dérives : « Un Tchétchène ne fera jamais un bon islamiste : il a trop de goût pour l’alcool et pas assez pour la discipline. »

Itchkéri Kenti n’est pas un film militant. Mais il transforme tous ses spectateurs en amis du peuple tchétchène.

Culture
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