Aimer à la folie

« Anna M. », de Michel Spinosa, est un formidable thriller psychiatrique. Le cinéaste a offert un rôle d’envergure à Isabelle Carré, qui impressionne dans la peau d’une érotomane.

Christophe Kantcheff  • 12 avril 2007 abonné·es

Connaissait-on Isabelle Carré ? Elle était jusqu’ici apparue surtout dans des oeuvrettes ( la Femme défendue , de Philippe Harel, les Sentiments , de Noémie Lvovsky, Holy Lola , de Bertrand Tavernier…) dont la médiocrité artistique permettait difficilement de se faire une idée de la comédienne. On l’a vue aussi dans des films plus charpentés, comme Coeurs d’Alain Resnais, mais elle n’y brillait d’aucun relief particulier.

Isabelle Carré cachait son jeu. Peut-être attendait-elle un rôle d’envergure et un certain type de regard pour enfin se dévoiler. Avec Anna M. , Michel Spinosa lui a offert les deux.

D’abord le rôle : celui d’une jeune femme dérangée, une «~toquée~». Son obsession, terriblement maladive : Anna est convaincue qu’entre elle et le médecin (Gilbert Melki) qui l’a soignée après qu’elle s’est jetée contre une voiture, il y a de l’amour, un amour réciproque et inextinguible. Contre le gré de celui-ci. Qui est marié, aime son épouse, n’attend rien de cette Anna, sinon une bonne convalescence. Mais la jeune femme a jeté son dévolu sur lui. Avec toujours plus de démesure. La drague devient vite harcèlement, qui se transforme en persécution pure et simple. On appelle cela l’érotomanie.

Ensuite le regard : Michel Spinosa a vu ce qui pouvait jaillir sous la blondeur d’Isabelle Carré : une énergie angoissée, un souffle d’effroi, le ravage de la folie. Isabelle Carré offre un autre visage d’actrice dans la peau d’un personnage à la limite de la dé-figuration. Mais le cinéaste aime les comédiennes. Il l’avait déjà montré avec son précédent film, la Parenthèse enchantée . Il incline aussi à la justesse. Il a ainsi permis à Isabelle Carré d’éviter tous les pièges. Notamment de surjouer la furie. Anna M. est d’autant plus inquiétante que la comédienne l’interprète exactement comme une très jeune amoureuse passionnée. À quelques détails près : cette ombre qui passe dans ses yeux, ou cette lèvre qui frémit sans contrôle. Michel Spinosa la regarde avant tout comme une femme, au lieu de la filmer comme un cas.

Ainsi, le mal qui ronge l’esprit d’Anna n’a pas pour seules victimes le médecin et sa femme, même si ce qu’ils vivent va au-delà de l’enfer et prend les dimensions d’une malédiction. Elle est la première à subir la violence qui émane d’elle, à l’image des coups de tête qu’elle se donne contre un poteau, dans la rue. Anna M. ne met donc pas en scène la figure du Mal, comme le faisait par exemple Michael Haneke dans Funny Games . Il parle d’un être humain, malade, comme vous et moi pourrions l’être. D’où le point de vue du film, certes souvent extérieur, sur les faits et gestes d’Anna, mais qui épouse aussi parfois celui du personnage ­ ainsi de ces images d’hallucinations dans le lit ­, ce qui rend plus sensible encore sa souffrance.

Anna M. ne se voit pas sans trouble, sans peur. L’irréparable n’est jamais loin. Un outil dans une main, une rame de métro à l’approche d’une station, tout peut constituer une menace mortelle au gré des pulsions d’Anna. Le scénario et la mise en scène jouent brillamment avec le suspense et l’effet de surprise. Le spectateur comprend vite que l’héroïne est capable de tout pour arriver à ses fins. Il tremble à l’avance du moindre de ses actes. Michel Spinosa n’est pas un cinéaste américain. Ce qui ne l’empêche pas de signer là un redoutable thriller psychiatrique.

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