Culture et candidats

Les enjeux culturels sont évoqués dans les programmes des présidentiables. Mais de quelle culture parlent-ils ? Comment se présentent les clivages gauche/droite ? Rapide inventaire autour de quelques questions-clés.

Ingrid Merckx  et  Christophe Kantcheff  • 12 avril 2007 abonné·es

«Et la marchandisation de la culture ?» , glissait, presque furtivement, Nicolas Demorand à Marie-George Buffet sur France Inter, le 4 avril. Événement rare sur les ondes, tabou sur les plateaux de télévision. Moins dans la presse écrite, tout de même, où les appels d’artistes, de chorégraphes, de directeurs de centres dramatiques, de cinéastes, etc. se sont multipliés, tandis que les magazines culturels ont tenté de faire mousser le débat, notamment les Cahiers du cinéma (voir encadré), qui se sont sérieusement attelés au problème de l’économie du cinéma [^2].

Du coup, la culture n’est plus tout à fait absente de la campagne. Certains candidats ont même dépassé le minimum syndical. François Bayrou, au cours d’une « journée de dialogue avec le monde de la culture » au Sénat, le 17 février ; Marie-George Buffet, lors d’une rencontre-débat avec des artistes et des personnalités le 1er mars au Cabaret Sauvage, à Paris ; Ségolène Royal, le 26 mars à Nantes, pour étoffer son projet après son raout des « Mille » professionnels de la culture au gymnase Japy le 12 mars ; et Nicolas Sarkozy, dans une boîte de nuit parisienne le 4 avril, qui s’est dépêché de fixer « cinq priorités pour la culture » .

Illustration - Culture et candidats


Des intermittents du spectacles manifestent, le 30 mars 2006 à Paris, lors d’une journée de grève dans le cadre des négociations paritaires du protocole d’accord de leur assurance-chômage.
AFP/PIERRE ANDRIEU

Reste à examiner comment les présidentiables parlent de cette question. La culture ou le syndrome du pot de fleur : dans les programmes, elle est souvent là pour la déco. Et prétexte à formulations lyriques qui cachent mal l’instrumentalisation dont elle fait l’objet. La culture doit être, en effet, au service de la société. L’émancipation des individus est beaucoup moins envisagée. Quant à la charge scandaleuse des oeuvres, surtout, pas un mot. Ça pourrait être dangereux, non ?

La place de la culture

« Je suis candidate à l’élection présidentielle, pas ministre de la Culture » , a rappelé Ségolène Royal le 26 mars. Sans blague ? Mais la candidate socialiste résumait ainsi tout haut ce que ses camarades candidats pensent pour la plupart tout bas, bien décidés à s’en tenir à de « grandes orientations » . Ségolène Royal en a annoncé dix, une pléthore face aux deux malheureuses propositions contenues dans son Pacte présidentiel (sur cent). « Pour connaître le programme de Ségolène Royal, prière de lire les quatre pages d’entretien dans les Inrockuptibles » , a ironisé le Monde du 28 mars. Non sans fondement, puisque l’hebdomadaire, qui a consacré un long entretien à la seule candidate du PS, s’est retrouvé dans toutes les mains des « Mille » au gymnase Japy.

Marie-George Buffet n’en a pas fait de même avec L’Huma . Ce qui n’enlève rien à ses qualités d’élève appliquée. Parmi ses seize engagements, « Une ambition pour la culture, un vrai statut pour les intermittents » arrive en neuvième position. Elle est sans doute celle dont les propositions sont les plus concrètes. Dominique Voynet ne s’en sort pas trop mal. À la huitième place de son contrat écolo, « Redonner confiance dans l’éducation, investir dans la recherche et dans la culture » inclut ­ un classique chez les Verts ­ la défense des cultures régionales. Reste que l’ensemble, télégraphique, ne se risque pas au développement.

Si le terme «~culture~» trouve de nombreuses occurrences chez José Bové, ou plutôt dans la Charte antilibérale sur laquelle il s’appuie, c’est aussi parce qu’il est souvent associé à l’expression «~OGM~». Mais la culture qui « favorise l’émancipation des femmes et des hommes » n’est pas éludée pour autant : elle bénéficie de la même attention que l’éducation, la santé, l’information, quand il s’agit de « contrer l’offensive libérale » . Les oeuvres ne sont pas des marchandises chez José Bové, ni chez Olivier Besancenot, qui, dans son programme, conçoit la culture comme une voie d’émancipation « individuelle et collective » .

Difficile de savoir quelle priorité François Bayrou et Jean-Marie Le Pen accordent à la culture, mot-clé noyé dans une liste d’items. Le Professeur Bayrou différencie son chapitre sur la «~culture~» (« composante d’un projet pour une nation » ) de celui sur les «~intermittents~» et sur «~les droits d’auteurs~». Le Pen en fait une question essentiellement identitaire : « Les arts et notre langue forment une dimension essentielle de notre identité. » Une phrase qui fait écho à celle-ci~: «~Notre fierté repose ensuite sur notre langue et notre culture, immense~» , signée Nicolas Sarkozy, et extraite de sa proposition intitulée « Fiers d’être français » . Pour le candidat UMP, la culture est un instrument devant garantir la « paix sociale ». Comme la télé pour les enfants pas sages.

Intermittents

S’il fallait s’en tenir à une question pour évaluer le projet culturel des candidats, celle des intermittents du spectacle suffirait. Leur conflit, vieux de quatre ans, est emblématique de la politique culturelle du gouvernement sortant. Et, par conséquent, des échecs du ministre en charge, Renaud Donnedieu de Vabres. Mais cette affaire met aussi en cause le dialogue social et le débat parlementaire puisque la proposition de loi (PPL) élaborée par le Comité de suivi (constitué de députés de tous bords) et rapportée dans une niche du PS le 12 octobre à l’Assemblée nationale a été enterrée par l’UMP.

Régler d’emblée cette question ­ abroger le protocole de 2003 (aggravé en 2006) et faire voter la PPL ­ serait un acte symbolique fort pour le nouveau Président. La ligne de partage est donc simple à tracer entre les candidats. Ceux qui sont pour~: Marie-George Buffet, Dominique Voynet et François Bayrou. Comme José Bové, qui se prononce en faveur d’un système proche de celui que préconise la PPL, Olivier Besancenot est pour l’abrogation du protocole, et projette un revenu minimum pour les « travailleurs » de la culture. Ségolène Royal est moins explicite, qui appelle les partenaires sociaux à se remettre autour de la table. Elle a toutefois précisé que son gouvernement posera des conditions à l’agrément d’un accord, dont le retour aux 507 heures en 12 mois avec dates anniversaires et « une incitation forte pour que les entreprises culturelles et audiovisuelles transforment nombre de contrats d’intermittents en CDI » .

Seul, Nicolas Sarkozy estime « qu’il faut laisser vivre [le protocole de 2006] et en faire le bilan dans quelques mois » ( in Libération du 5 avril).

Droit d’auteur

On se souvient des circonstances qui ont débouché sur la loi DADVSI : débat bâclé par le gouvernement, polarisation sur la licence globale et sur les consommateurs au détriment des auteurs, victoire des industriels. « Dangereuse » pour Marie-George Buffet, il faut la remplacer par une loi qui « encourage la circulation de la création dans sa diversité afin qu’elle puisse toucher le public le plus large tout en assurant la rémunération des auteurs et le respect de leurs droits » . La candidate PC propose aussi « ~ la mise en oeuvre d’une plate-forme publique de téléchargement » ­ idée reprise par José Bové ­, qui sera financée par une « extension de la redevance pour copie privée. » Sans le dire, Ségolène Royal se montre toujours en faveur de la licence globale, de même que… Jean-Marie Le Pen~! Dominique Voynet, elle, préférerait une licence globale améliorée. François Bayrou ne veut ni de la loi DADVSI ni de la licence globale, mais envisage de lancer « une réflexion profonde » . Quant à Nicolas Sarkozy, qui assume d’habitude si peu le bilan du gouvernement, il défend la loi parce qu’elle est « équilibrée » .

Éducation artistique et éducation populaire

L’éducation artistique a la faveur de tous les candidats, mais tous ne sont pas orfèvres en la matière. Problème pour Nicolas Sarkozy~: c’est son parti au pouvoir qui a démantelé le plan «~Arts à l’école~» initié par les socialistes en 2000. François Bayrou s’en tient à une déclaration de principe. Ségolène Royal, qui veut inscrire l’éducation artistique à tous les niveaux, « de la maternelle à l’université » , s’engage à lancer «~un plan national, avec les régions, d’aménagement d’équipements culturels dans les universités et les lycées~» . José Bové et Marie-George Buffet relient cette question à celle de l’éducation populaire, pour laquelle la candidate communiste envisage de créer un ministère. « L’envie de culture, ça se cultive », martèle Olivier Besancenot. Il défend la revalorisation des enseignements artistiques et l’égalité de moyens entre les établissements, conservatoires, musées, médiathèques…

Exception culturelle

Pour Jean-Marie Le Pen, « l’exception culturelle n’est rien d’autre que la préférence nationale appliquée à la culture » . Voilà pour la blague. Parce qu’en temps de concentration des industries culturelles dans de grands groupes, la chose est autrement sérieuse, et l’adoption récente de la Convention pour la diversité culturelle à l’Unesco a peut-être marqué un tournant. Encore faut-il que « la France et d’autres pays continuent de mener l’action nécessaire en faveur de l’exception culturelle au sein de l’OMC » , souligne Marie-George Buffet, qui s’engage également sur une série de mesures soutenant la production cinématographique, l’édition et la librairie indépendantes.

José Bové, favorable à l’exception culturelle pour tous les peuples, propose « d’abonder le fonds de développement culturel à destination des pays du Sud prévu dans la Convention pour la diversité culturelle de l’Unesco » . Tout aussi volontariste, Olivier Besancenot préconise le développement et le soutien des réseaux alternatifs de diffusion des oeuvres, et la protection des secteurs les plus fragiles par le biais de fonds de soutien publics. Il se déclare par ailleurs pour la protection de la liberté d’expression des artistes.

Si Ségolène Royal insiste sur l’importance de l’exception culturelle, elle reste plus floue sur les moyens à mettre en oeuvre pour l’appliquer. En la matière, François Bayrou fait dans l’haiku~: « Je tiens à réaffirmer très clairement que la culture n’est pas, ou pas seulement, du domaine marchand. » Quant à Nicolas Sarkozy, il désapprouve une loi limitant le nombre de copies des films par bassin de population (on sait que les grosses machines inondent de copies le parc des salles) pour cette raison stupéfiante~: le respect de la liberté d’expression !

[^2]: Nous avons extrait ici quelques citations du dossier des Cahiers du cinéma.

Culture
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