« Demain est une nébuleuse »

À quelques semaines de la présidentielle, Aline Holcman, réalisatrice, s’interroge sur le programme des candidats en matière audiovisuelle. Selon elle, l’attentisme domine.

Jean-Claude Renard  • 5 avril 2007 abonné·es

La campagne présidentielle est l’occasion d’entendre de nouvelles idées, des propositions autour de la télévision. La programmation, les recettes publicitaires, la place du documentaire… Les sujets ne manquent pas. Pourtant, on observe un certain immobilisme. Entretien avec Aline Holcman [^2]
, réalisatrice, membre du Réseau des organisations du documentaire (ROD), nouvellement créé pour faire entendre la voix des réalisateurs auprès des chaînes.

Quel regard portez-vous sur les programmes des candidats à l’élection présidentielle en matière audiovisuelle ?

Aline Holcman : Tous sont d’accord pour la pérennité de la télévision de service public, pour la diversité culturelle, pour l’exception culturelle, pour l’éducation à l’image chez les enfants, etc. Et tous sont plein de compassion à l’égard des auteurs, des réalisateurs, des producteurs… qui peinent de plus en plus à exercer leur travail. Si nous devions imaginer la culture et l’audiovisuel dans un futur proche, ce serait sans vision politique. Les représentants des différentes formations attendent nos idées, et d’être élus, pour ouvrir les dossiers et lister les points névralgiques. Pourtant, demain est une grande nébuleuse. Qu’il s’agisse des dossiers en souffrance concernant les intermittents, également au sein des télévisions, des répartitions budgétaires pour la création artistique, ou encore du barrage au piratage des films et documentaires via Internet. On entend plutôt les sempiternelles formules : « Il faudrait que… C’est à étudier… »

Quels sont cependant les différents points de vue ?

Tous sont d’accord pour taxer les opérateurs, les fournisseurs d’accès Internet (FAI) et les recettes publicitaires des télévisions privées. Même accord aussi pour augmenter la redevance télé, avec une nuance au parti communiste, où Marie-George Buffet propose une exonération pour les plus démunis. Tous, donc, à l’exception du FN et de l’UMP, celui-ci estimant qu’il y a déjà trop de prélèvements obligatoires et que la redevance pèse de manière indifférenciée sur tous les ménages. Nicolas Sarkozy préfère s’engager sur la possibilité d’introduire des pauses publicitaires plus longues sur les chaînes publiques dans les émissions dont le contenu n’est pas significativement différent de celui des chaînes privées. L’UDF s’est prononcée pour augmenter la redevance à condition que la télévision de service public marque sa différence culturelle d’avec les chaînes privées. Rien de vraiment innovant, en somme. D’autant que les auteurs, réalisateurs et producteurs, voire les associations de téléspectateurs, revendiquent cela depuis longtemps, sans résultat.

Les interrogations à venir ne semblent pourtant pas manquer ?

Oui, parmi lesquelles la piraterie, qui a fait la fortune des FAI de certains portails, de fabricants d’ordinateurs et de logiciels, laissant les ayants droit sans la moindre rétribution. La loi du 1er août 2006, relative aux droits d’auteur, s’avère inefficace. L’inquiétude se porte aussi sur le matraquage publicitaire dans les émissions pour enfants. Une interrogation pèse également sur le glissement de la télévision publique vers une télévision commerciale bafouant sa mission culturelle, d’information, de création et de divertissement. Au niveau international, qui malheureusement intéresse peu d’interlocuteurs, la copie est menacée, les droits d’auteurs risquent d’être marginalisés dans les instances internationales face au copyright anglo-saxon.

Il reste enfin cette question essentielle du formatage et de la « ligne éditoriale » des chaînes publiques. Loin d’une création libre, on oblige les documentaristes à formater leurs films, à se plier aux exigences de l’audimat. En région, la situation est aussi difficile qu’au niveau national. À en croire certains directeurs de chaîne de France 3 régions, il faut traiter des sujets qui ne heurtent ni la sensibilité ni le goût des téléspectateurs, friands de variétés et de pacotilles. Un documentaire réalisé dans la région, et dont le sujet tend vers l’universel, est refusé sous prétexte que c’est du ressort du national. Si le film est grave, bien que régional, il est aussi refusé au prétexte que c’est un sujet difficile. Ce qui marche en région, c’est le film de communication, le faire-valoir. Reste à comprendre pourquoi le documentaire de création fait peur. Peut-être parce qu’il questionne le monde et laisse le téléspectateur libre-penseur.

[^2]: Membre de l’Association des cinéastes documentaristes, auteur notamment de Faux pas, et des Femmes de Mistral.

Médias
Temps de lecture : 4 minutes