Faut-il légiférer sur l’euthanasie ?

Remis sur le devant de la scène par le procès de Périgueux, le droit d’aider à mourir s’invite dans la campagne présidentielle. Et divise : une nouvelle loi est-elle nécessaire ?

Ingrid Merckx  • 5 avril 2007 abonné·es

Selon un sondage Sofres pour le Nouvel Observateur paru le 15 mars, 87 % des Français se disent favorables à « la possibilité pour les personnes atteintes de maladies incurables de demander l’euthanasie » . Signe que les mentalités évoluent. S’il peut y avoir diverses raisons à cela, l’impact émotionnel d’affaires judiciaireas, comme celle de Vincent et Marie Humbert en 2003, y est pour beaucoup. La dernière en date, le procès de Laurence Tramois et Chantal Chanel à Périgueux, mi-mars, a remis le sujet sur le devant de la scène, en pleine campagne présidentielle. Sollicités par l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADM) par l’intermédiaire d’un livre blanc intitulé Fin de vie, une nouvelle loi est indispensable, les principaux candidats ont été invités à se prononcer.

Ségolène Royal s’est dite prête à mettre en place une législation légalisant l’euthanasie « sous certaines conditions », sur le modèle d’autres pays européens. Après s’être déclaré favorable à l’euthanasie début février, Nicolas Sarkozy a fait machine arrière. « Je ne pense pas que cette question se règle par une loi », a-t-il confié à Femme actuelle le 26 mars, en renvoyant au dialogue entre le patient, la famille et le corps médical. François Bayrou, qui n’a pas tranché, s’est dit pour une évolution du texte de loi et pour la réaffirmation de la valeur de la vie. L’euthanasie reste un crime pour Jean-Marie Le Pen. Marie-George Buffet n’est pas favorable à une nouvelle loi. Dominique Voynet et Olivier Besancenot pencheraient plutôt pour la dépénalisation.

Il y a donc au moins une question de société au programme de la présidentielle. Préparant la suite, beaucoup insistent sur l’importance de déplacer le débat du terrain émotionnel à celui du droit. Derrière la question d’une nouvelle loi, une autre se dessine, en creux : si on autorise l’euthanasie ­ entendu qu’il s’agit d’euthanasie « active » ­ quel sera le tiers chargé de « donner sciemment la mort » ? Est-ce au personnel médical d’endosser seul cette responsabilité ?

La durée de la vie s’allonge, les techniques progressent, et 70 % de la population meurent à l’hôpital. Les soignants sont donc en première ligne dans tout ce qui a trait à la fin de vie. « En aucun cas, le médecin n’a le droit de donner délibérément la mort » , a rappelé l’Ordre des médecins, le 12 mars, jugeant aussi que « la transgression de cet interdit par la loi serait une régression majeure de notre société » . Les médecins sont face à un dilemme éthique : entendre la volonté des personnes et du corps social, et respecter le serment médical, qui est de soigner et d’éviter la mort. Dans un avis rendu en janvier 2000, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a déclaré renoncer « à considérer comme un droit dont on pourrait se prévaloir la possibilité d’exiger d’un tiers qu’il mette fin à sa vie ». Parce que « la valeur de l’interdit du meurtre demeure fondatrice », il préférait envisager « l’exception d’euthanasie » . Ce dont, pour l’heure, la loi ne fait pas mention.

Le 8 mars, dans le Nouvel Observateur, 2 000 soignants ont fait un coup d’éclat en publiant un manifeste pour la dépénalisation « sous conditions » des pratiques d’euthanasie. « Parce que, de façon certaine, la maladie l’emportait sur nos thérapeutiques, parce que, malgré des traitements adaptés, les souffrances physiques et psychologiques rendaient la vie du patient intolérable, parce que le malade souhaitait en finir, nous, soignants, avons en conscience aidé médicalement des patients à mourir avec décence. » Une révélation qui rappelle celle des « 343 salopes », qui, en 1971, avaient reconnu avoir pratiqué des avortements clandestins et ouvert le débat sur la dépénalisation.

Le Manifeste des 2 000 soignants réclame, entre autres, l’arrêt immédiat des poursuites judiciaires à l’encontre des praticiens mis en accusation et une révision de la loi, en s’inspirant des réformes réalisées en Suisse, aux Pays-Bas et en Belgique. Ils ne sont pas seuls sur cette ligne : depuis trois ans, l’association « Faut qu’on s’active » milite pour une loi Vincent Humbert dépénalisant l’euthanasie sous certaines conditions. Sa proposition de loi d’initiative citoyenne aurait déjà reçu le soutien de 300 000 signatures. Les uns et les autres mettent en évidence les limites de la loi d’avril 2005 sur la fin de vie, qui « protège les médecins « débranchant » leurs patients » mais ne règle en rien la demande de mettre fin à ses jours.

Faire échec « à la clandestinité et à l’arbitraire » était pourtant l’un des objectifs de la loi Leonetti, qui autorise le « laisser-mourir » et permet, sous certaines conditions, l’arrêt des traitements à la demande des patients. Jean Leonetti, député (UMP), estime aujourd’hui qu’une nouvelle législation « n’est pas à exclure » . Dans un texte publié par l’espace éthique de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris, il a néanmoins rappelé que cette loi était le résultat d’un consensus réconciliant « les revendications de liberté de décision et de transparence des procédures de la part des malades avec le besoin de sécurité juridique des soignants ». Prolongeant la loi de mars 2002 sur les droits des malades, elle entendait surtout développer la culture des soins palliatifs en France.

C’est précisément au nom de la défense des soins palliatifs que certains s’insurgent contre le « plan médiatique » du « lobby pro-euthanasie ». En réaction au Manifeste des 2 000 soignants, la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) a publié un plaidoyer contre la légalisation de l’euthanasie, signé par plus de 6 600 personnes, dont des groupements de professionnels. Selon elle, le droit à « l’assistance au suicide » ne concerne pas uniquement les personnels de santé. Pas question, donc, qu’ils soient seuls à assumer ce rôle. En revanche, comme « le droit au refus de l’acharnement thérapeutique » est « au coeur de leurs préoccupations quotidiennes » , ils font du respect de la loi de 2005, toujours mal appliquée deux ans après sa promulgation, un préalable à toute décision.

Leur crainte ? Qu’une légalisation de l’euthanasie mette un coup d’arrêt aux soins palliatifs ou à leur évolution en précipitant l’arrêt de traitement et en faisant intervenir dans la décision des paramètres économiques et de gestion hospitalière. « Le souhait d’en finir varie en fonction des traitements . Sensibles à l’angoisse et la pression que leur maladie exerce, les malades peuvent vouloir épargner leur entourage sans que cela corresponde à un désir profond », rappelle aussi le CCNE . Autre argument : les soins palliatifs concernent toute la population, tandis que les demandes de mettre fin à la vie ne touchent qu’un très faible nombre de patients. En Belgique, où elle a été légalisée, l’euthanasie était la cause de 0,2 % des décès en 2003, d’après une étude de l’Ined sur la fin de vie en Europe.

« L’euthanasie préfigure des fins de vie accélérées » , s’alarme l’anesthésiste Édouard Ferrand , dans un entretien au Monde . Il redoute que ce débat « marginal par rapport au vrai problème de fin de vie en France » n’ait des effets « contre-productifs sur les milliers de personnes qui vont mourir mal » . L’euthanasie viendrait-elle évincer une réflexion, moins frappante mais non moins cruciale, sur la fin de vie ? Faire appliquer la loi de 2005 ou préparer une nouvelle loi serait, dès lors, une question de priorité.

Société
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