« L’étendard d’espoir est levé ! »

De l’anarchiste Gaston Couté au folksinger Graeme Allwright, « la Marseillaise » a souvent été réécrite avec des paroles moins belliqueuses.

Jacques Vassal  • 12 avril 2007 abonné·es

Certains politiques veulent enseigner l’hymne national. D’autres fustigent les paroles de « la Marseillaise », jugées, au choix, démodées, belliqueuses, voire racistes et xénophobes : ah ! ce sang impur censé abreuver nos sillons ! Ou ces étrangers qui feraient la loi dans nos foyers ! Sans doute frères ou cousins de ces féroces soldats que, depuis plus de deux siècles, nous n’avons cessé d’entendre mugir dans nos campagnes ? Fin mars, un journaliste de télévision (publique) pose benoîtement la question à José Bové, invité du jour : allez-vous réécrire les paroles de « la Marseillaise » ? Réponse évasive de l’intéressé, qui, certes, condamne les couplets guerriers, mais n’est pas… candidat à l’exercice. Écrire, c’est un métier.

L’anecdote ne fait que souligner l’ignorance des journalistes et des politiques en matière de chanson. En fait, ces paroles existent. Elles ont été écrites, en dehors de toute perspective électorale bien sûr, par Graeme Allwright, Néo-Zélandais de naissance, Français d’adoption et citoyen du monde depuis les années 1950 et l’action de Gary Davis. Le 24 août 2005, paraît la circulaire de rentrée scolaire : en application de la loi Fillon, l’apprentissage de « la Marseillaise » est rendu obligatoire dans les écoles primaires. Le 21 septembre, a lieu la Journée internationale pour la paix proclamée par l’ONU, dans le cadre de la « décennie internationale de la promotion d’une culture de la non-violence et de la paix ». Entre ces deux dates, le folksinger le plus populaire de France s’insurge : « En regardant à la télé des petits enfants obligés d’apprendre ces paroles épouvantables, j’ai été profondément peiné et j’ai décidé de faire une autre version de « la Marseillaise ». »
Extrait :

« Pour tous les enfants de la terre </>
Chantons amour et liberté. </>
Contre toutes les haines et les guerres </>
L’étendard d’espoir est levé </>
L’étendard de justice et de paix. </>
Rassemblons nos forces, notre courage </>
Pour vaincre la misère et la peur </>
Que règnent au fond de nos coeurs </>
L’amitié la joie et le partage. […]</>

<(refrain)>

Partons, partons, amis, solidaires, </>
Marchons vers la lumière. » </>

Ces paroles, écrites avec Sylvie Dien, secrétaire de l’association créée dans la foulée ^2, Graeme Allwright les chante à chacun de ses concerts. Mais sait-on qu’avant lui, preuve que le malaise est ancien, d’autres ont voulu amender « la Marseillaise » ? Car, depuis sa naissance, cet hymne n’a jamais eu la vie facile. Le 20 avril 1792, la jeune république française déclare la guerre au roi de Hongrie et de Bohême. Des affiches appelant « Aux armes, citoyens ! » sont placardées dans les villes de France. Lors d’une soirée chez Dietrich, maire de Strasbourg, le sujet est évoqué avec l’officier du génie Claude-Joseph Rouget de l’Isle (1760-1836), par ailleurs violoniste et compositeur d’opéra. Dans la nuit du 24 au 25 avril, Rouget de l’Isle écrit d’une traite un « Hymne de guerre dédié au maréchal de Luckner ». Le lendemain matin, il le crée chez un Dietrich enthousiaste. Des colporteurs en distribuent des « petits formats », à Montpellier, puis à Marseille, aux soldats remontant vers Paris, qui en font une marche. Ironie du sort, les Marseillais le rebaptisent « Chant de guerre de l’armée de Rhin », et ce sont les Parisiens qui le surnommeront « la Marseillaise » !

Un couplet déiste (Dieu de clémence et de justice/Vois nos tyrans, juge nos coeurs/Que ta bonté nous soit propice/Défends-nous de ces oppresseurs !) est supprimé par le ministre de la Guerre, Servan. Mais, lors d’une fête en l’honneur des Marseillais, le couplet dit « des enfants » (« Nous entrerons dans la carrière/quand nos aînés n’y seront plus ») est ajouté par… un abbé, Antoine Peyssonneaux. « La Marseillaise » fait partie des chants prohibés dès la chute du Ier Empire (1815) ; en 1848, naissent sur les barricades une version féministe et une autre « du peuple », sans oublier, en 1871, la version communarde :

« Chantons la liberté ! </>
Défendons la cité ! </>
Marchons, marchons, </>
Sans souverain, </>
Le peuple aura du pain. » </>

« La Marseillaise » ne sera proclamée « hymne national » que sous la IIIe République, en 1879. Elle ne fera jamais l’unanimité. Le grand poète anarchiste Gaston Couté (1880-1911) en signera un sublime démarquage, qui pourrait faire oublier même l’Internationale [^3] :

« Ne déversons plus l’anathème </>
En gestes grotesques et fous </>
Sur tous ceux qui disent « je t’aime » </>
Dans un autre patois que nous. </>
Et, seule guerre nécessaire, </>
Faisons la guerre au capital </>
Puisque son or, soleil du mal, </>
Ne fait germer que la misère. </>

<(refrain)>

En route, allons les gars ! </>
Jetons nos vieux sabots. </>
Marchons, marchons, </>
En des sillons plus larges et plus beaux. »

Et si l’hymne national était un hymne à l’amour ?

[^3]: Mis en musique et chanté par Gérard Pierron.

Idées
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