Face à l’invisible

Dans « Tehilim », Raphaël Nadjari confronte une famille au mystère de la disparition du père.

Ingrid Merckx  • 31 mai 2007 abonné·es

Pour confronter l’individu à l’invisible, Raphaël Nadjari choisit Jérusalem. Pas la Jérusalem antique des lieux de culte et d’histoire(s). Mais une Jérusalem moderne, celle d’un quartier résidentiel où demeure la classe moyenne ; loin des conflits, ou presque. En outre, le cinéaste ne met pas en scène un individu mais plusieurs, qui forment une famille : le père, la mère et les deux fils. Et, juste derrière, l’oncle et le grand-père, qui animent un cercle talmudique auquel assiste l’aîné des deux garçons, Menachem (Michael Moshonov).

La mère, la « pièce rapportée » , avec laquelle Menachem semble ne pas bien s’entendre, a reçu une « autre éducation » , plus laïque. Mais c’est le père qui disparaît, après un banal accident de voiture. Le mystère de son évaporation est le moteur du film, son mur, son puits, sa crevasse aussi. Il met cette famille face à un grand dénuement : l’épouse doit assumer la charge familiale, notamment matérielle, dont elle hérite. Les fils doivent réagir à ce vide brutal. D’où des psaumes ­ « Tehilim » en hébreu ­ que chacun doit dire pour le disparu.

Ces mouvements de l’âme vers la figure du père (Père ?), Raphaël Nadjari les suggère sans verser dans le liturgique, le fantastique ou la violence. Il s’attache aux gestes du quotidien comme s’il voulait les amortir, évitant aussi de fixer les regards qui se dérobent, se croisent ou fuient hors champ, esquivant l’oeil posé sur eux. Le seul que capte vraiment l’objectif est celui du petit David, qui se tourne davantage vers les autres que vers lui-même. Menachem, lui, a soif de réponse à son sentiment de manque. Ses sorties, sans kippa, avec sa petite amie, ses visites à son grand-père et à son oncle traditionnalistes, sa fuite en cachette, dans laquelle il a entraîné son petit frère, convaincu que les préceptes religieux qu’ils appliquent naïvement dans la rue leur seront secourables… Dans cette famille juive ashkénaze entre traditions et modernité, l’adolescent se fait le représentant du passage de l’un à l’autre plan.

Mais le sous-texte n’est jamais pesant dans Tehilim , qui préfère le privé au communautaire, l’intime au parabolique, le signifiant au signifié. Témoin, cette scène où la mère, Alma (Limor Goldestein), décide de mettre à la porte son beau-père et son beau-frère et, partant, toute la communauté qui va se presser chez elle comme chaque soir, pour l’assister dans sa prière. Alma exprime le besoin d’être seule, pour se reposer, se retrouver et, surtout, entamer ce qui pourrait s’apparenter à un deuil. Son désir déclenche un esclandre : si simple et si compréhensible, il traduit une rébellion calme mais décidée contre le poids des rituels religieux et sociaux. Rébellion qui n’évacue pas pour autant le sacré. On voit Alma, plus tard, préparer le repas du shabbat pour ses fils, comme si son mari était là, puis se retirer dans sa chambre, pour vivre, peut-être, sa prière à elle, à l’écart de celles qu’on lui commande.

Dans ce cinquième long-métrage, le second tourné en Israël après Avanim , qui se situait à Tel-Aviv, Raphaël Nadjari traque des ondes de choc souterraines dans une famille amputée d’un membre. Symbole, sûrement, d’un bouleversement politique et sociétal plus large, mais où prennent toute leur place les questionnements de l’individu qui, dans son désespoir, ne sait plus de quel côté regarder.

Culture
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