La France de Sarkozy et de Bigard

Denis Sieffert  • 3 mai 2007 abonné·es

Toute la France de l’élégance et de l’esprit était là : Arthur, Magdane, Clavier, Rika Zaraï, Reno, Doc Gyneco… La France qui se tord de rire quand Bigard en chauffeur de salle s’exclame : « Moi aussi j’ai bourré Bercy et beaucoup d’autres choses ! » La France de la justice fiscale, dignement représentée par Johnny Halliday et Alain Prost. La France de la fidélité à ses convictions, avec André Glucksmann. La France qui n’a pas honte quand une ministre de la République accuse la candidate socialiste de « changer d’idées comme de jupes ». La France qui ose tout, comme disait Audiard. Celle des tontons flingueurs, des séries télévisées et des samedis soirs de TF 1, celle des nouveaux riches, des gros cachets et des stock-options, celle des parvenus qui se placent du côté du manche et montrent du doigt les resquilleurs du RMI. Nicolas Sarkozy les avait tous convoqués, ces héros de l’audimat, dimanche, dans un stade de Bercy « bourré » en effet, mais ivre surtout d’une victoire que l’on sent à portée de main. Et que fit-il, Nicolas Sarkozy, au milieu de ces pique-assiettes défiscalisés, de cette jet set gorgée de fric et de privilèges, et tellement fière de son inculture ? Il fit de la « morale ». Il accusa « les héritiers de Mai 68 » d’avoir rayé ce mot du « vocabulaire politique » . C’est Rika Zaraï administrant une leçon de philosophie à Deleuze et à Foucault. Mais pourquoi se gêner ? Et pourquoi ne pas tenir Noël Forgeard, l’heureux ex-PDG d’Airbus (huit millions d’euros d’indemnités), pour un enfant naturel de Mai ? C’est ce que fit Sarkozy, l’orateur qui ose tout. Et le candidat de droite se jura de « liquider une bonne fois pour toutes » l’héritage de 68. Et nous qui croyions naïvement que M. Forgeard était surtout un pur produit de cet ultralibéralisme qu’exalte le programme du candidat de l’UMP !

Avouons-le, ce serait une bien grande (et belle) surprise si le distingué parterre de Bercy n’était pas de nouveau à la fête dimanche prochain. Ce ne sont pas tant les sondages qui portent au pessimisme que l’arithmétique du premier tour. Presque six points d’écart entre le candidat de la droite et Ségolène Royal, et, pour celle-ci, peu de réserves de voix à gauche et une bataille autour des dépouilles du centre qui ne pouvait être fructueuse en termes électoraux que si la candidate de la gauche avait accepté de brader jusqu’aux références identitaires de son parti. Or, au cours de l’aimable rencontre de samedi avec François Bayrou, elle n’a jamais hypothéqué les lendemains en se faisant plus libérale qu’elle n’est. Cequi ne veut pas dire que l’opération « Parti démocrate à la française » initiée par la droite du PS n’est pas promise à un bel avenir. Quant aux 18 % qui ont voté Bayrou au premier tour, ils penchent légèrement du côté gauche, mais trop peu pour renverser les montagnes. Autrement dit, l’électorat naturel du centre, très inférieur à 10 %, va voter à droite ; les autres, la faible majorité de ceux qui se prononceront pour Ségolène Royal, ne sont peut-être que des électeurs de gauche mécontents du début de campagne de leur candidate. Ce qui fait que le clivage gauche-droite, en se reconstituant, fait éclater la baudruche centriste. Chacun rejoint son camp de base. Et cela risque de faire beaucoup trop juste au total, dimanche soir.

Mais sait-on jamais ? Cette interminable campagne n’est pas encore tout à fait parvenue à son terme. Lorsque le lecteur lira ses lignes, le débat entre les deux finalistes de cette joute présidentielle aura eu lieu. Peut-il bouleverser la donne ? D’un mot, d’un regard, Nicolas Sarkozy peut-il trahir encore un peu plus cette soif inextinguible de pouvoir qui constitue un danger pour la démocratie et la paix civile ? Le candidat de la droite acomparé dimanche cette fin de parcours à la dernière étape du Tour de France, quand celui qui a remporté toutes les étapes de montagne trébuche « parce qu’un chien traverse la route ». Seul le mauvais sort, donc… C’est faire peu de cas de Ségolène Royal, qui termine cette campagne bien mieux qu’elle ne l’avait commencée. Ce n’est pas là un propos très politique, car cela ne change rien, à terme, aux risques de glissement à droite du PS. Mais cette considération esthétique sur la qualité du discours et le style n’est pas indifférente dans une compétition qui fait la part belle aux impressions et aux personnalités plus qu’aux programmes. Ce que nous redoutons le plus dans l’hypothèse probable de la victoire de Nicolas Sarkozy, ce ne sont d’ailleurs pas seulement ses projets, c’est une personnalité qui n’a de cesse d’exacerber les contradictions de notre société, et d’en aggraver les tensions. Si dimanche soir un tel homme dispose de la légitimité du suffrage universel, il sera temps d’éprouver la solidité de notre démocratie.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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