« La porte ouverte aux fraudes »

Spécialistes du droit du travail, Antoine Lyon-Caen
et Philippe Brun critiquent le projet relatif aux heures supplémentaires.

Clotilde Monteiro  • 24 mai 2007 abonné·es

Défiscaliser et détaxer les heures supplémentaires : le projet provoque de vives inquiétudes, même si les contours de son champ d’application n’ont pas encore été clairement définis. À l’instar des responsables syndicaux, l’universitaire Antoine Lyon-Caen [^2] et l’avocat Philippe Brun s’élèvent contre les problèmes juridiques, les risques de fraude et les conséquences négatives sur le marché de l’emploi que pourrait entraîner cette mesure, prioritaire pour le gouvernement. Antoine Lyon-Caen parle de « mesure poudre aux yeux, inappropriée au problème qu’elle prétend résoudre ». Et Philippe Brun n’hésite pas à la qualifier d’ « escroquerie » .

La conseillère technique de Nicolas Sarkozy, Emmanuelle Mignon, a évoqué deux options pour préciser dans quel cadre cette mesure sera appliquée. La première consiste à exonérer d’impôt les heures supplémentaires effectuées au-delà des 35 heures hebdomadaires. Elle ne concernerait dans ce cas que les travailleurs à temps plein. Mais, comme le note Philippe Brun, « l’employeur a depuis 2003 toute latitude pour faire travailler en cas de besoin ses salariés 39 à 42 heures par semaine, au tarif normal ». L’ensemble des chefs d’entreprise n’aurait donc, selon lui, aucun intérêt à revenir au système des heures supplémentaires. « Une entreprise bien gérée ne propose plus d’heures supplémentaires » , ironise Philippe Brun. Par ailleurs, celui-ci voit mal comment cette mesure pourrait s’appliquer à l’ensemble des salariés. « Les cadres supérieurs sont depuis 2003 soumis à une convention de forfait qui les conduit à travailler 217 jours par an. » Quant aux cadres dits intégrés soumis aux 35 heures hebdomadaires, Philippe Brun doute de leur désir de sacrifier leur temps de loisir acquis grâce à la RTT.

En ce qui concerne les salariés désireux de gagner plus, aucune réponse n’est apportée à la question du libre choix. Antoine Lyon-Caen observe qu’on entretient « un savant brouillage car, jusqu’à nouvel ordre, c’est l’employeur qui dispose du temps de travail des salariés ». La clause de volontariat n’existe pas en droit social. Mais, pour cet universitaire, « une telle mesure pose surtout le problème de la rupture du principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant l’impôt, ainsi que celui de la rupture d’égalité des entreprises entre elles au regard des cotisations sociales » . D’autant que, comme l’observe Philippe Brun, « 17 % des salariés à temps partiel, qui sont pour la plupart des travailleurs pauvres, souhaiteraient pouvoir travailler à temps plein. Ils seraient donc les premiers intéressés par des heures supplémentaires » .

La deuxième option prendrait également en compte ces quatre millions de salariés actuellement à temps partiel. Les heures travaillées en deçà des 35 heures, appelées heures complémentaires et jusqu’ici payées sans majoration, devront être considérées comme des heures supplémentaires. Mais Philippe Brun doute que le gouvernement opte pour ce deuxième choix : « Le monde de l’entreprise préférera proposer des heures complémentaires même si celles-ci sont soumises à l’impôt. » Quelle que soit l’option choisie, Antoine Lyon-Caen redoute que cette mesure, qu’il qualifie de « véritable défi au bon sens constitutionnel », ne soit « la porte ouverte à toutes les fraudes ». Il observe qu’ « un employeur qui voudra gratifier ses salariés d’une prime de fin d’année, ou autre, habituellement assujettie à l’impôt, pourra déclarer le montant de celle-ci en heures supplémentaires pour ne pas avoir à s’acquitter des charges correspondantes. À moins que ne soit mise en place une bureaucratie de contrôle sans précédent pour débusquer ces fraudes potentielles » . Antoine Lyon-Caen ajoute que « la prétendue simplification annoncée par Nicolas Sarkozy se transformera alors en complication diabolique. Du jamais vu ! ».

Mais ce projet est surtout critiqué pour le risque d’aggravation du problème de l’emploi qu’il entraînerait. Antoine Lyon-Caen et Philippe Brun sont catégoriques : « Lors de surcroîts de travail, une telle loi encouragera les employeurs à solliciter les salariés déjà dans l’entreprise, ce qui supprimera toutes possibilités d’embauche et de création d’emploi. » Selon Philippe Brun, l’effet d’annonce de cette mesure permet surtout à Nicolas Sarkozy de « s’approprier la valeur travail sur laquelle se bat la gauche depuis vingt-cinq ans… »

[^2]: Professeur à Paris-X Nanterre.

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