Le retour de la gauche radicale

L’exemple de l’Allemagne et des Pays-Bas montre que des mouvements de gauche antilibérale peuvent émerger et se développer dans l’Europe actuelle.

Clotilde Monteiro  • 17 mai 2007 abonné·es

Existe-t-il un point d’équilibre entre transformations économiques et accompagnement social ? Les résultats enregistrés par la gauche radicale aux dernières élections législatives en Allemagne et aux Pays-Bas démontrent que la notion de modèle social européen demeure l’Arlésienne des États nations d’Europe occidentale. Les électeurs ont profité des échéances électorales pour exprimer leur inquiétude face à l’absence de redistribution des ressources et aux atteintes au droit du travail imposées par l’Union européenne (UE).

En Allemagne, la politique de démantèlement de l’État providence menée dans le cadre de l’agenda 2010 par le chancelier Gerhard Schröder et sa coalition SPD-Verts a contribué à la recomposition de la gauche après les législatives de septembre 2005. Les sociaux-démocrates du SPD ont été désavoués par les électeurs. Le gouvernement sortant a finalement réussi à sauver les meubles face à l’Union chrétienne-démocrate (CDU-CSU) d’Angela Merkel. Ce scrutin a donné lieu à une grande coalition CDU-CSU et SPD, tant les deux partis se sont retrouvés au coude à coude avec 225 sièges pour la CDU contre 222 pour le SPD. Mais la surprise est venue de la gauche de la gauche, représentée par le tout nouveau Linkspartei d’Oskar Lafontaine, qui a totalisé contre toute attente 8,7 % des suffrages, et raflé 54 sièges !

L’incapacité des sociaux-démocrates à imposer un modèle social européen explique cette percée de la gauche radicale. Le taux de chômage élevé et persistant, la création de fonds de pension, les réformes du système des retraites, de l’assurance-maladie (obligeant les assurés à payer 10 euros par trimestre pour les consultations sans être remboursés), celle du système d’indemnisation du chômage, qui touche de plein fouet les chômeurs de longue durée, ont été autant de mesures dénoncées par Oskar Lafontaine et ont permis à son parti de rencontrer une telle adhésion auprès d’un électorat déçu par les dérives libérales du SPD.

Aux Pays-Bas, un scénario similaire s’est joué aux législatives de 2006. À la gauche de la gauche, le Parti socialiste (SP) a créé la surprise en totalisant 16,6 % des suffrages et en devenant pour la première fois de son histoire la troisième force politique des Pays-Bas. Le SP, qui avait appelé à voter « non » au référendum européen, plaide notamment pour une réduction des cadeaux fiscaux accordés aux entreprises, une baisse des dépenses militaires, une augmentation du montant des retraites, des crèches gratuites… Cette gauche dite « radicale » veut recréer un nouvel État social. Le score de cette force antilibérale marque là aussi la faillite du Parti du travail (PvdA), converti à un social-libéralisme de plus en plus impopulaire. Alors que le pays affiche une bonne santé économique (le taux de chômage y est le plus bas de l’UE), la gauche traditionnelle hollandaise a elle aussi détricoté l’État providence en ouvrant notamment la voie à une privatisation partielle de la Sécurité sociale. Le PvdA est resté à l’issue du scrutin la deuxième force politique du pays et a formé un gouvernement de coalition avec l’Appel chrétien-démocrate (CDA) du Premier ministre sortant, Jan Peter Balkenende. Comme l’avait observé Marc Jacquemain [^2] au lendemain des élections, le mécontentement des déçus de la gauche ne s’est pas traduit par un vote d’extrême droite massif, mais par un vote pour la gauche radicale : « C’est une évolution très intéressante, notamment aux Pays-Bas, que l’on a longtemps dits tétanisés par un discours anti-immigrés dans la ligne de Pim Fortuyn. »

En Autriche, la gauche est dans une phase ascendante. Le Parti social-démocrate (SP…), absent du gouvernement depuis 1999, a remporté les législatives d’octobre 2006 en obtenant 35,3 % contre 34,2 % pour les conservateurs du Parti populaire (…VP) de Wolfgang Schüssel. Le pays retourne donc à l’alliance droite-gauche qui avait gouverné de 1986 à 1999. Quant aux Verts autrichiens (Die Grünen), ils continuent de représenter un des plus grands partis écologistes en Europe avec 11,1 % des voix aux dernières élections.

La Belgique est donc désormais le seul pays, avec le Grand-Duché du Luxembourg, où il n’existe pas de force significative à la gauche de la social-démocratie. Or, celle-ci n’a pas d’autres choix que de soigner sa gauche si elle ne veut pas, un jour, se retrouver en concurrence avec d’éventuels antilibéraux…

[^2]: Professeur de sociologie à l’Université de Liège (ULg, Belgique), dans le Journal du mardi (hebomadaire belge en ligne) daté du 27 novembre 2006.

Politique
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