Nos années Thatcher…

Denis Sieffert  • 10 mai 2007 abonné·es

Nous avons eu droit dimanche soir du côté de la rue de Solferino à une étrange mise en scène. Pendant que des dizaines de jeunes militants du parti socialiste n’en finissaient pas d’agiter triomphalement des portraits de Ségolène Royal ­ et cela bien après l’heure du verdict ­, la candidate, radieuse dans la défaite, s’abandonnait aux délices du bain de foule et de la harangue exaltée. Où donc étaient les motifs de l’enthousiasme ? Fallait-il se réjouir que la candidate, avec ses 47 %, ait permis au parti socialiste de réaffirmer son hégémonie sur une gauche par ailleurs laminée ? Était-ce cela l’enjeu de toute cette campagne ? Ou bien était-ce, pour Ségolène Royal, une façon de continuer d’exister au-delà de la défaite et de prendre position dans la bataille qui se profile au sein du parti socialiste ? Dans les deux cas, c’était prendre à témoin les électeurs de gauche, et la société tout entière, de débats qui ne les concernent que fort peu. Car, dimanche soir, nil’hégémonie du PS ni la possible destinée personnelle de Ségolène Royal ne pouvaient faire oublier l’essentiel : la France venait de tomber dans les mains d’un redoutable prédateur. Un vote de classe, brouillé de populisme, sonnait l’heure de tous les périls. Une droite dure, implacable et résolue, venait d’être légitimée par les urnes. Une droite qui n’aurait jamais dû gagner si seulement une offre politique cohérente lui avait été opposée. Son programme, qui a maintenant la précision d’un calendrier, est archiconnu : remise en cause du droit de grève et du code du travail, allongement de fait de la durée du travail. Tout cela à la hussarde, avant l’automne. Faut-il vraiment pavoiser ? Sauf à avoir en tête d’autres préoccupations que celles des salariés et de tous ceux qui ont tant à redouter des prochains mois.

Du coup, la gravité affichée sur les plateaux de télévision par Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius paraissait mieux en harmonie avec l’humeur du moment. Elle répondait pourtant en partie aux mêmes motivations que le bonheur trop ostensible de Ségolène Royal : prendre position dans la toute prochaine bataille pour le pouvoir… au sein du parti socialiste. Le sourire de l’une voulait dire « j’y suis, j’y reste », quand la mine sombre des autres préfigurait la fermeture de la parenthèse électorale et le retour à des hiérarchies anciennes. Le pire est que les projets de DSK et de la candidate éconduite par le suffrage universel ne sont pas très différents. Les deux songent à haute voix à une alliance au centre. DSK a une idée plus académique de son entreprise, improprement qualifiée de « social-démocrate » ; Ségolène Royal, elle, est plus empirique, comme elle fut tout au long de la campagne.

Quant à Laurent Fabius, il semble vouloir persister dans la stratégie plus à gauche qui l’avait conduit à voter « non » au référendum européen de mai 2005. Cette bataille des chefs, qui n’a pas attendu longtemps pour reprendre (si elle a jamais cessé !), peut être facilement raillée. Elle n’est cependant pas dépourvue de contenu. Et il faut souhaiter qu’elle ait lieu à visages et à projets découverts.

Car il faut tout de même le dire : l’échec du PS n’est pas l’échec personnel de Ségolène Royal. À son sujet, deux interprétations sont possibles. La première, magnanime : la candidate a fait au mieux avec un parti qui n’a plus de repères idéologiques. La seconde, plus sévère : elle a elle-même incarné un parti devenu évanescent, où toutes les improvisations politiques sont permises. Dans tous les cas, les causes de la défaite sont plus anciennes et plus profondes. Un sondage paru au lendemain du premier tour révélait qu’une majorité d’électeurs de Nicolas Sarkozy votaient par « adhésion » à leur candidat, alors que la majorité des électeurs de Ségolène Royal agissaient par « rejet » du candidat de droite. Autrement dit, ni le « programme du PS » et encore moins son « pacte présidentiel » n’étaient réellement identifiables. À cet égard, Nicolas Sarkozy a administré à cette gauche socialiste une formidable leçon. Il n’a jamais eu peur d’être lui-même. Jamais il n’a craint d’affirmer une idéologie qui correspond aux intérêts qu’il défend. Ila rappelé que la droite c’est l’accumulation des richesses pour les mêmes, une compétition sans état d’âme, et l’individualisation des solutions. Il a promis l’ordre et l’autorité aux insoumis et aux déviants. Rien que du solide et du classique ! La gauche n’est pas plus difficile à définir. Ses idées figuraient abondamment dans les propositions des collectifs antilibéraux avant que ceux-ci ne soient emportés par une autre guerre des chefs. Elles sont à prendre, prêtes à servir pour refonder une identité. En attendant, voici le parti de l’ordre au pouvoir. La France entre dans ses années Thatcher. Dans quel état en sortira-t-elle ?

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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