Éviter la case prison

Juge pour enfants dans les Hauts-de-Seine, Martine de Maximy évoque quelques
cas de mineurs pour qui les peines planchers auraient été contre-productives si elles avaient existé au moment de leur passage en justice.

Olivier Doubre  • 21 juin 2007 abonné·es

Dans le bureau de Martine de Maximy, juge pour enfant au palais de justice des Hauts-de-Seine, des dossiers, beaucoup de dossiers. Mais aussi, sous une petite table, des jouets. « Pour les tout-petits, ils sont utiles durant les audiences , explique-t-elle *. Le juge des enfants a en effet deux casquettes : celle d’assistance éducative ­ c’est 60 % de mon activité ­ et celle de juge au pénal pour les mineurs. »*

Madame la présidente du tribunal des enfants de Nanterre, qui est aussi vice-présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, tient à préciser qu’elle « ne revoit jamais » les trois quarts des mineurs qui arrivent devant sa juridiction pour la première fois. Ce chiffre est d’ailleurs à peu près constant d’une juridiction à l’autre.

Ceux qui sont la « cible » du projet de loi gouvernemental, Martine de Maximy les qualifie de « mineurs en crise , [qui] représentent entre 8 % et 10 % de ceux [qu’elle] voi [t] ». Sont-ils souvent « récidivistes » ? Oui, mais avec cette précision : « Juridiquement, la notion de récidive s’entend pour ceux qui ont été condamnés par une décision définitive, donc ayant épuisé toutes les voies de recours, et commettent à nouveau un délit dans les cinq années qui suivent. » Or, une grande partie du travail du juge des enfants consiste justement à éviter la récidive, notamment en jugeant les affaires ensemble, afin de se donner le temps d’engager un processus éducatif avec le jeune.

Le cas d’Antoine* lui revient en mémoire. Ce mineur de 16 ans a déjà des antécédents judiciaires pour avoir apposé des tags sur un bâtiment public, puis pour avoir été arrêté sur un scooter volé. Une liberté surveillée et une mesure éducative ont été décidées à son encontre. Puis il a été repris, sans casque, sur un cyclomoteur dérobé. « Des scooters volés tournent dans les cités. Les jeunes ne sont pas très malins et roulent souvent sans casque ! Ce qui est juridiquement qualifié de recel. Pour les mineurs, la peine maximale encourue est de deux ans et demi d’emprisonnement… » Antoine est en échec scolaire. Il a quitté l’école. Il a aussi rompu avec ses copains qui avaient des problèmes avec la justice, en allant vivre ailleurs. La magistrate l’a condamné à deux mois de prison avec sursis et quatre-vingts heures de travaux d’intérêt général (TIG). Il semble que cette peine l’ait fait réfléchir, car il a passé, accompagné de son éducateur, un entretien dans une entreprise, qui s’est bien déroulé : le patron compte le garder après son TIG. L’éducateur a joué un grand rôle. Si les délits avaient été commis après l’entrée en vigueur de la loi, et les peines planchers appliquées, Antoine serait sans doute allé en prison pour le deuxième.

Jean-Paul* présente un autre cas que Martine de Maximy rencontre fréquemment. Âgé de 17 ans et demi, arrêté pour un vol simple de scooter, il est aussi poursuivi pour outrage à policier. Or, il avait déjà été condamné pour destruction de véhicules durant les émeutes de 2005.Lors de cette première affaire, il avait été décidé qu’un éducateur devait s’occuper de lui et qu’il serait soumis à un contrôle judiciaire. De milieu ouvrier, scolarisé en lycée professionnel, il devrait redoubler sa première l’année suivante. Il n’est donc pas totalement en rupture avec l’institution scolaire. « Il est surtout en rébellion face à l’autorité , précise Martine de Maximy, mais, heureusement, il n’entre pas dans le cas légal de la récidive : le vol et l’outrage ont eu lieu avant son premier jugement. […] Il faudrait qu’un éducateur puisse suivre les mineurs comme lui presque quotidiennement, afin qu’il les secoue, notamment pour qu’ils aillent faire leurs démarches… »

Troisième cas évoqué par la juge : celui de Thierry*, qui est revenu la voir plus de cinq ans après sa condamnation, désormais loin de son passé judiciaire, père de famille, et employé en CDI dans un garage. Thierry a vécu toute son enfance dans une cité de Boulogne-Billancourt. Son père était ouvrier, sa mère élevait ses quatre frères et soeurs. À quinze ans, il a commencé à commettre des actes de délinquance : vols à l’arrachée ou en réunion, quelques violences aussi envers d’autres jeunes. Quand Martine de Maximy l’a confié à un éducateur, Thierry a continué à commettre de petits délits. Mais, après l’échec de plusieurs mesures éducatives, la juge lui a donné une ultime possibilité, qui lui a évité l’incarcération. Il a saisi cette chance et s’est engagé dans un parcours de réinsertion. « Si j’étais allé en prison ce jour-là, je me serais enfermé dans une identité de délinquant » , lui a-t-il confié.

Martine de Maximy tient à préciser que la prison est malheureusement nécessaire dans certains cas. Elle n’hésite pas à incarcérer les mineurs avec qui toutes les mesures alternatives ont échoué. Même si cela implique, dans plus de 90 % des cas, un risque de récidive. Surtout, « comme on entend partout que la prison est la seule véritable sanction, certains jeunes considèrent l’incarcération de cette manière, et ne prennent pas au sérieux les autres décisions de justice ». Les peines alternatives, qui peuvent être très sévères, ne sont pas assez nombreuses. Pour cette juge, le plus urgent serait d’engager une profonde réflexion sur la signification d’une prise en charge éducative. Or, déplore-t-elle, « cela ne semble pas à l’ordre du jour… »

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