Gauche, l’heure des choix

Plusieurs acteurs* des collectifs antilibéraux prennent la plume
pour tirer un premier bilan de la présidentielle et tracer quelques
pistes pour l’avenir.

Politis  • 7 juin 2007 abonné·es

La défaite est sévère. Après cinq ans de pouvoir, le «~sortant~» Nicolas Sarkozy a réussi à se faire passer pour un homme «~neuf~», prônant la «~rupture~». Il a construit sa victoire en proposant une perspective agrégeant les diverses valeurs de la droite, mariant ultralibéralisme et autoritarisme, «~laisser-faire~» économique, et ordre sécuritaire et identitaire. Poursuivant son offensive par la composition du gouvernement, il plonge la gauche dans un désarroi profond. Lourdement battue à la présidentielle, celle-ci risque d’être écrasée aux législatives. Pourtant, près d’un électeur sur deux s’est opposé, le 6 mai, au héraut de la droite dure. Il faut tout faire, les 10 et 17 juin, pour empêcher Sarkozy de disposer d’une majorité à l’Assemblée nationale, au service de sa politique de contre-révolution libérale et conservatrice. Encore faut-il, pour cela, ne pas poursuivre les orientations qui viennent de conduire à la défaite.

Illustration - Gauche, l’heure des choix


SAGET/AFP

L’heure des choix à gauche est donc clairement venue. Pas question, comme en 2002, d’évacuer les raisons profondes de l’échec et d’attendre la prochaine échéance électorale. L’urgence est au réarmement idéologique, politique et culturel. Et c’est un choix fondamental entre les orientations existantes à gauche qui s’impose.

Bien des voix s’élèvent pour inviter la gauche à se rassembler autour d’une politique dite «~réaliste~», renonçant à contester l’ordre capitaliste et cherchant son salut au centre. Cette «~analyse~» oublie que l’adaptation social-libérale caractérise l’évolution de la politique du Parti socialiste depuis 1983, que les gouvernements de gauche successifs ont été sanctionnés jusqu’au désastre du 21 avril 2002, que les exemples européens souvent cités n’ont rien produit de bon pour les peuples. Elle ignore aussi que Ségolène Royal a tenu durant la campagne un discours de facture «~blairiste~» sur le «~goût du risque~», «~l’esprit d’entreprendre~», le refus de «~l’assistanat~», la réconciliation avec le profit, allant jusqu’à disputer à Sarkozy une part du discours sécuritaire et identitaire. Ce parti pris, accentué entre les deux tours, a désorienté l’électorat de gauche. Nous sommes convaincus que c’est l’une des clés de la défaite. Et il faudrait maintenant entretenir toujours plus cette machine à perdre ? Jusqu’où ? Une gauche qui ne sert plus à rien parce qu’elle ne change plus rien ? Une gauche assistant impuissante à la domination de la droite pour les dix années à venir ?

Ce n’est pas en aggravant les orientations qui ont déjà conduit à l’échec que la gauche pourra défaire la droite et sa politique. C’est en refusant la fatalité libérale que le mouvement populaire a retrouvé son allant dans la dernière décennie. Demain, c’est aussi en conjurant les ravages de l’éparpillement que la gauche de transformation, la gauche antilibérale, pourra contribuer à la reconstruction d’une perspective porteuse d’espoir. On mesure à quel point son incapacité à se rassembler à l’occasion de cette séquence électorale aura contribué au désastre. Faute de pouvoir peser sur le champ politique et dessiner une offre alternative à celle qu’incarnaient le Parti socialiste et sa candidate, elle aura favorisé un vote utile à son détriment, affaibli la dynamique d’ensemble à gauche et n’aura pu empêcher les thèmes de la droite de marquer le débat public.

Pour retrouver le chemin des catégories populaires, rouvrir la voie d’un changement radical, offrir un débouché aux mobilisations sociales, c’est à une refondation qu’il faut s’atteler, de la gauche, d’une gauche qui soit à gauche. Une gauche fidèle à ses valeurs et qui invente de nouvelles réponses aux nouveaux défis. Une gauche qui mette l’émancipation individuelle et collective au coeur de son projet et vise la conquête de nouveaux droits et libertés. Une gauche qui donne la priorité à la satisfaction des besoins du plus grand nombre, qui relève le défi du partage des richesses et des pouvoirs, qui défende un nouveau modèle de développement respectueux des équilibres écologiques, qui replace la démocratie, c’est-à-dire la souveraineté populaire, au coeur de ses propositions pour la France et pour l’Europe.

Un tel projet ne manquerait pas de soutien populaire. Les nombreux mouvements sociaux des dernières années et le rejet d’une constitution libérale pour l’Europe attestent d’une résistance aux politiques libérales. Des forces sont donc disponibles pour lier la résistance aujourd’hui nécessaire à l’affirmation d’une perspective ambitieuse de transformation sociale, de justice, d’égalité, de solidarité. On les retrouve avec les organisations et courants qui ont mené la campagne du «~non~» de gauche au TCE, dans les collectifs unitaires antilibéraux, mais aussi, plus largement désormais, dans les partis, les forces syndicales et associatives, dans le monde intellectuel et culturel, parmi les citoyennes et les citoyens, dans la jeunesse.

L’urgence est à la résistance et à la mobilisation pour battre les candidats sarkozystes aux législatives. Elle est tout autant à reprendre l’offensive sur le terrain des idées et des propositions autour de contenus transformateurs attractifs. Une gauche molle n’est pas l’outil politique adéquat face à la contre-révolution libérale ; quant à une «~petite~» gauche, elle serait cantonnée au rôle d’aiguillon minoritaire d’un social-libéralisme hégémonique.

Rassemblons les énergies antilibérales et transformatrices dans un processus pouvant déboucher sur un moment fort, du type états généraux. L’heure pour la gauche est d’être, maintenant, à gauche !

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