Des hominidiens au palais des Papes

Le festival « in » a bien commencé avec « l’Acte inconnu »,
de Valère Novarina, mais Céline et Claudel donnent lieu
à des spectacles peu convaincants.

Gilles Costaz  • 12 juillet 2007 abonné·es

Le tandem directeur du festival d’Avignon – Hortense Archambault et Vincent Baudriller – n’a pas fait au public le cadeau traditionnel d’un classique dans la Cour d’honneur pour l’ouverture. Il a confié ce lieu très symbolique à Valère Novarina, tout en faisant reprendre les Paravents de Genet (un classique, quoi qu’en dise le public conservateur) dans la mise en scène plutôt heureuse de l’artiste invité, Frédéric Fisbach, et en envoyant sur une autre aile du dispositif la charge lourde de l’Allemand Franck Castorf s’attaquant à Nord de Céline. Pour le patrimoine renaissant dans la Cour, on attendra, tardivement, le Roi Lear de Shakespeare vu par Jean-François Sivadier (du 21 au 27 juillet).

La nouvelle pièce écrite et mise en scène par Novarina, l’Acte inconnu [^2], s’inscrit dans ce lieu immense, et non plus dans les espaces intimes où l’œuvre de ce poète s’est imposée peu à peu depuis vingt ans. Une ligne rouge traverse la scène, trois sculptures angulaires qui sont aussi des trappes pour apparitions et disparitions s’y dressent, les acteurs circulent entre ces repères et apparaissent aussi aux différents étages de la haute muraille. Avec son défilé d’« hominidiens » (Novarina appelait ainsi ses créatures il y a quelques années) s’interrogeant sur l’histoire du monde et l’attitude de Dieu, qu’ils commentent à l’infini, la pièce est une sorte de récit biblique inversé, où les répliques se contredisent, dans une grande parade qui n’est pas seulement de la parodie mais est aussi passage au-dessus du vide. « Je souffre de désaccord perpétuel avec la mort », dit l’un des personnages. Tout est, en effet, lutte avec l’idée de mort et d’acceptation de notre disparition. De véritables numéros de cirque, de music-hall, de chansons à l’accordéon bousculent ou reprennent cette disputation métaphysique de l’espoir et du désespoir, de l’amour et de la solitude.

Très beau et trop long spectacle ! L’auteur aurait pu trancher dans sa dernière partie, qui a du mal à repartir après l’impression trompeuse de bouquet final qu’instaure l’arrivée soudaine de vingt-deux accordéonistes. N’empêche que le plaisir est considérable car l’équipe d’acteurs s’est renouvelée. À l’étourdissant Dominique Pinon et à des fidèles remarquables comme Agnès Sourdillon, Christian Paccoud, Michel Baudinat, se sont ajoutés Valérie Vinci, Véronique Vella, Olivier Martin-Salvan, Richard Pierre, notamment. Tous brassent ces mots du réveil poétique comme une soupe planétaire.

Quant à Franck Castorf, il s’est emparé d’un roman de Céline, Nord, avec des options qu’on pouvait aisément deviner : des intentions assassines ! Céline l’a bien mérité puisqu’il conte là son voyage lamentable de partisan des nazis dans l’Allemagne de 1945, en compagnie de sa femme Lucette, du chat Bébert et de l’acteur Robert Le Vigan. Cette grande déroute présentée par l’auteur comme une victoire de l’esprit, Castorf en fait évidemment un carnaval du déshonneur. Il n’a pas lésiné sur les moyens : un énorme wagon occupe le centre de la scène et devient une scène à l’intérieur de la scène ; il est partiellement détruit, un peu à la manière du wagon que les Marx Brothers cassaient pour alimenter la chaudière de leur locomotive. Ce sont ici plutôt les Pieds nickelés à l’allemande, dans un tourbillon guerrier et érotique : rafales d’armes automatiques, hommes travestis, filles en petite tenue… C’est encore plus la fin du monde que chez Novarina, mais la machine théâtrale, longtemps surprenante, actionnée par des acteurs d’une rare énergie, se met à tourner à vide. On admire ces cogneurs et ces allumés, mais mettre en scène, c’est savoir s’arrêter quand les idées deviennent complaisantes. Ce que Castorf ne sait pas faire à temps.

Enfin, Claudel devait apporter un autre grand souffle théâtral en ce lancement chahuteur. Julie Brochen monte l’Échange et, malheureusement, ne se montre pas à la hauteur de cette grande fable de l’amour et de la trahison. Peut-on échanger ses passions, quelles transmutations nous autorise la nature humaine ? se demande l’écrivain à travers l’histoire de Marthe, trahie par Louis et confrontée au matérialisme de Pollock Nageoire. Julie Brochen a eu le tort de vouloir assumer à la fois le rôle de Marthe et la mise en scène. Elle affadit la pièce dans un contexte plutôt laid et, sans sa brillante partenaire Cécile Péricone et quelques éclairs de Fred Cacheux et Antoine Hamel, l’électrocardiogramme serait tout à fait plat.

[^2]: Disponible chez POL (192 p., 14 euros), qui réédite aussi le Théâtre des paroles (256 p., 9 euros).

Culture
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