J-F Chapelle : « On va vers un vin industriel »

La Coordination paysanne européenne s’oppose au projet de réforme de l’Organisation commune des marchés vitivinicoles, présenté le 5 juillet par la Commission européenne. Les explications de Jean-François Chapelle.

Jean-Baptiste Quiot  • 12 juillet 2007 abonné·es

Les propositions de la Commission européenne répondent-elles, selon vous, aux problèmes et aux enjeux de la viticulture ?

Jean-François Chapelle [^2] : Les raisons avancées par la Commission pour une nouvelle Organisation commune des marchés vitivinicoles (OCM vin) sont, d’une part, la production structurellement excédentaire du vin et, d’autre part, les 500 millions d’euros dépensés inutilement pour distiller des vins impropres à la consommation. À partir de ces deux réalités qui posent problème, elle veut restructurer le marché du vin en faveur des firmes multinationales, qui réalisent 30 % du marché. Il faut dire que le vin est la dernière matière première agricole à ne pas être entrée dans le secteur standardisé de l’agroalimentaire. Mais, au lieu d’encourager la tradition du terroir et la traçabilité, la Commission européenne veut permettre aux firmes agroalimentaires de se servir du vin comme de n’importe quel autre produit. Elle persévère dans son projet de mondialisation et de restructuration de la viticulture européenne. Les mesures qu’elle préconise vont dans le sens du vin industriel, alors que la chance de l’Europe, c’est sa conception d’un vin agricole reposant sur une longue histoire. Peut-être que le vin peut devenir un produit de base pour l’agroalimentaire, mais il faut d’abord clairement dire où sont les frontières. Et là, le moins que l’on puisse dire, c’est que la Commission n’est pas claire. Elle dit qu’elle veut défendre les vins de qualité, qui représentent 60 % de la production européenne, et, dans le même temps, elle prépare la libéralisation des pratiques œnologiques pour les calquer sur celles de l’agroalimentaire.

Qu’est-ce qui favorise cette libéralisation ?

La Commission veut abandonner tout ce qui reste de régulation afin que ce soient uniquement les lois du marché qui décident. En supprimant les droits de plantation, elle supprime les mesures de gestion du marché liées par exemple aux problèmes de distillation. Il faut rappeler que la vigne n’est une plante comme le blé. Elle est une plante pérenne, c’est-à-dire qu’on la plante pour cinquante ans, et que sa production est irrégulière et peut baisser parfois en une année de 40 %. Au lieu de réguler par les distillations qui, bien que coûtant cher, constituaient une forme de mutualisation, la Commission préfère le laisser-aller du marché. Le modèle, c’est l’Australie. Mais l’Australie est un pays de nouvelle viticulture, qui n’a pas notre histoire et nos pratiques. Supprimer la distillation va entraîner une catastrophe pour les petits viticulteurs et leurs salariés.
Par ailleurs, bien qu’elle se targue de lutter pour les vins de qualité, la Commission veut également brader les sigles de qualités comme le millésime et le cépage. Il n’y aura plus d’interdiction ni de règle : tous les vins pourront utiliser ces sigles. Les producteurs industriels se frottent bien sûr les mains, puisque ces mentions valorisantes pourront figurer sur n’importe quoi et sans contrepartie.

N’y a-t-il eu aucune avancée depuis votre alerte de septembre dernier [^3] ?

Si, il y a quand même des différences. La Commission fait par exemple un effort sur les budgets pour la promotion des vins dans les pays tiers. Il y aura ainsi des enveloppes pour les producteurs. C’est un bon point si cela permet d’aider les vins des régions. Cependant, ces aides vont-elles être ouvertes à tout le monde ? Vont-elles être reversées, par exemple, à Pernod-Ricard, qui possède des vignes en Chine et veut se développer sur le marché asiatique ? Nous, nous demandons que ces enveloppes soient destinées aux vins de terroirs. En outre, on peut déplorer qu’il n’y ait rien de prévu pour la promotion auprès du consommateur européen, alors que 70 % du marché mondial est consommé par lui.
On constate également des efforts sur la question du développement durable, avec le maintien d’une agriculture forte dans les régions qui vivent de cela et la reconnaissance des territoires et des paysages. En ce qui concerne l’arrachage, la Commission a fait des progrès sur la présentation. Elle propose maintenant des aides pour les vignerons qui veulent sortir dignement du secteur. C’est plutôt une bonne chose si c’est volontaire et si cela permet le renouvellement. On est aussi passés de l’objectif de 400 000 hectares à arracher à 200 000. Cependant, il reste une question : est-ce que c’est faisable d’arracher 200 000 hectares sur la base du volontariat ? Et puis, alors qu’elle exige l’arrachage, la Commission dérégule. En 2014, il n’y aura plus d’interdiction de planter. Ce qui est contradictoire.

[^2]: Responsable de la Coordination paysanne européenne (CPE) et producteur en Bourgogne.

[^3]: Voir Politis n° 919.

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