La vie en rose

Un tableau de province, comique, mélancolique, inquiétant…

Christophe Kantcheff  • 12 juillet 2007 abonné·es

La littérature est une affaire sérieuse qu’on doit pouvoir aborder à la légère. Frédéric Léal, en quelques livres détonants, est passé maître en la matière. Avec une façon bien à lui d’écrire. On objectera que c’est là la moindre des choses. Mais il faut entendre « façon d’écrire » d’abord en son sens premier : comment se disposent les mots. Les pages de Frédéric Léal ne ressemblent à aucune autre. Chacune est une création typographique, mêlant différents corps et polices de caractères, italique, gras, romain, et même croquis minuscules. Un ballet de phrases entrecoupées et de lettres orphelines, une explosion joyeuse, tonique, qui pourrait ressembler à la transcription d’une bande-son nourrie de voix, de bruits, de sonorités, jetés non pas comme un chaos, mais organisés, hiérarchisés, sculptés.

Une composition élaborée pour un puissant effet de réalité : ici, dans le Peigne-rose, pour l’essentiel, la confrontation d’un médecin remplaçant avec les pensionnaires d’une maison de retraite. Prosaïque tableau de province, qui devient sous la plume de Léal un grand moment comique, avant de prendre une dimension plus mélancolique, voire carrément inquiétante.

Peut-être parce qu’il exerce lui-même la profession de médecin, Frédéric Léal ne donne pas à son confrère-personnage le plus avantageux des rôles. Traversant cette maison de retraite comme un simple témoin ou presque, il ne peut comprendre ce qui se joue chez une certaine Mme Bietri, qui compense son sentiment de solitude en prétendant être visitée par des flamants roses. « On se toise, docteur, c’est tout. Leurs yeux pas inquisiteurs pour deux sous. De l’amitié. Entre deux oiseaux de prestige et une vieille carcasse. »

Les moyens rationnels du médecin sont trop frustes pour que celui-ci voie derrière ces paroles autre chose qu’hallucinations de vieille femme dépressive, nécessitant le recours à la chimie. Dommage. Il y avait dans ce que lui confiait Mme Bietri une entaille dans la banalité quotidienne. Une véritable histoire d’amitié, une amitié intense. Morte à force d’abandon. Un gâchis.

Culture
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