La « voix de la France », c’est fini !

Mai 68 est le point de départ d’une exigence de pluralisme dans l’audiovisuel public et d’un début d’indépendance par rapport au pouvoir politique.

Olivier Doubre  • 26 juillet 2007 abonné·es

Le 21 septembre 1972, le président Pompidou déclare~: « L’ORTF, c’est la voix de la France~! » La phrase sera reprise des années durant par tous ceux qui contestent le contrôle exercé par le pouvoir politique sur l’audiovisuel public. Elle sonne une sorte de chant du cygne du monopole, dont le président gaulliste sait certainement déjà qu’il ne peut perdurer très longtemps. Aussi, le 21 mars 1973, institue-t-il un Haut Conseil de l’audiovisuel, pour préparer la réforme qui, le 7 août 1974, voit l’éclatement de l’ORTF en sept sociétés (Radio France, TF 1, Antenne 2, FR 3, etc.)

La fracture date de mai 1968, lorsque les « radios périphériques », selon le terme de l’époque (c’est-à-dire ne dépendant pas de l’ORTF), suivent la crise en direct, grâce à leurs motos émettrices, magnétophones portatifs Nagra et voitures munies de téléphone. On se souvient du dialogue entre le ministre de l’Éducation nationale et Alain Geismar, secrétaire général du Snes-Sup, qui intervient à l’antenne depuis une voiture d’Europe 1 garée rue Gay-Lussac, alors que les manifestants s’apprêtent à dresser les premières barricades… Mais, du côté de la télévision et des radios publiques, tout est fait d’abord pour minimiser le mouvement, puis ne signaler que les désagréments des grèves. Aussi, souvent dénommée « La voix de son maître », l’ORTF est l’objet de vives critiques, en particulier le journal télévisé. La critique vient aussi de l’intérieur. Les personnels votent en effet la grève, revendiquant « l’objectivité et l’exactitude de l’information » et la possibilité pour tous les courants d’opinion de s’exprimer à l’ORTF. L’atelier populaire de l’École des beaux-arts s’en fait l’écho sur une affiche restée célèbre, avec un CRS dans un poste de télévision et l’inscription~: « La police vous parle tous les soirs à 20 heures. » Mai68 est donc le point de départ d’une exigence de pluralisme dans l’audiovisuel public et d’un début d’indépendance par rapport au pouvoir politique.

Moment de parole généralisée, le mouvement de Mai68 contribue aussi à la naissance de nombreux journaux. Citons seulement les superbes Cahiers de mai , à mi-chemin entre une revue (donnant la parole aux acteurs du mouvement) et un mouvement politique spontanéiste. Également, proches d’ HaraKiri , les dessinateurs Siné, Gébé, Reiser ou Wilhem lancent l’Enragé , dont plusieurs numéros sont l’objet de poursuites. Quelque temps après, attentif à la contre-culture américaine, Actuel se consacre à toutes les formes de vie alternative et de contestation, durant les années1970.

Mais la plus importante création en matière de presse qui, longtemps, reflétera un point de vue « soixante-huitard », est Libération , dont le premier directeur n’est autre que Jean-Paul Sartre. D’abord agence de presse maoïste et alternative, le quotidien naît en 1973 et se fait l’écho de tous les mouvements qui, dans les années1970, chahutent la société française. Après une crise grave en 1980 [^2], il devient à partir de l’élection de François Mitterrand en mai 1981 un quotidien généraliste de plus en plus établi, dont le ton et l’orientation s’éloigneront peu à peu de l’esprit de Mai.

[^2]: Cf. Toutes les histoires de dragon ont un fond de vérité, documentaire de Gérard Guégan retraçant cette crise, ressort aujourd’hui en DVD, éd. Art Malta, www.artmalta.fr, 150′.

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