La volaille socialiste

Denis Sieffert  • 12 juillet 2007 abonné·es

Puisque, selon la formule bien connue, « il faut se dépêcher d’en rire de peur d’avoir à en pleurer », colportons ce scénario réjouissant qui circule dans le Paris politique. Figurez-vous que, contrairement aux apparences, les socialistes seraient sur le point de prendre le pouvoir. Déjà une poignée de ministères ou de secrétariats d’État, des missions, des commissions (ce serait le tour de Jack Lang), et peut-être le Fonds monétaire international pour DSK : qui ne voit que le PS, tôt remis d’un échec électoral finalement superficiel, est en train de prendre d’assaut les institutions ? Et cela, dans le but évident de subvertir le capitalisme de l’intérieur. Encore quelques nominations que la droite appelle naïvement « ouvertures », et le pouvoir aura basculé… Il faut absolument croire à ce revigorant coup de théâtre. Sinon, quelle tristesse ! Quelle tristesse de voir la direction du principal parti de gauche se déliter sous nos yeux ! Mais il y a une autre façon de se consoler, peut-être plus sérieuse que la première. En remettant à sa juste et modeste place cette histoire de débauchage. Car, lorsqu’il plume la volaille socialiste, Nicolas Sarkozy n’affaiblit pas le parti de François Hollande, il en révèle la vérité profonde. Il en souligne l’état de déliquescence morale. Au fond, nous assistons à une formidable opération vérité. Faut-il regretter ces socialistes aux convictions charpentées qui, comme Fadela Amara (le Monde rapportait la scène dans son édition du jeudi 5), sont capables du jour au lendemain, sur les bancs de l’Assemblée, d’applaudir à tout rompre le discours de François Fillon, acclamant, sous les regards médusés de leurs anciens camarades, le programme ultralibéral qu’ils feignaient de vilipender l’avant-veille ?

Au moins, ceux qui résistent n’en sont que plus estimables. Du coup, Nicolas Sarkozy, faute d’adversaires, est surtout menacé par les contradictions de son propre système. Un système exhibé de façon caricaturale, lundi et mardi, à Bruxelles et à Paris. À la veille de l’examen par l’Assemblée du fameux « paquet fiscal » qui devrait coûter au bas mot quinze milliards en divers cadeaux aux catégories supérieures de la société, le président de la République est allé à Bruxelles rassurer ses partenaires européens. L’équilibre budgétaire, leur a-t-il dit en substance, sera au rendez-vous en 2010, ou, au pire, en 2012. À Paris comme à Bruxelles, le discours relève de la logique libérale. Aux Français, Nicolas Sarkozy promet que le plein emploi finira par résulter miraculeusement des cadeaux consentis aux riches. On sait ce qu’il advient généralement de cette politique : les cadeaux sont empochés, mais le plein emploi ne vient jamais. De même avec l’Europe, les cadeaux fiscaux favoriseraient la croissance, laquelle permettrait, au bout du bout, de rééquilibrer le budget du pays. Malgré quelques manifestations d’agacement, notamment du côté allemand, il paraît que le plaidoyer a été bien accueilli. Le président de l’Eurogroupe, le Luxembourgeois Jean-Claude Junker, s’est même fendu d’un vibrant éloge. Voilà qui étonnera ceux qui croient l’Europe obsédée par l’impératif gestionnaire. Car ce n’est évidemment pas la « bonne gestion » de Nicolas Sarkozy qui a séduit les Européens, ce sont ses « réformes ». Autrement dit, le démantèlement du système social français. Un combat éminemment politique. L’équilibre budgétaire peut bien attendre !
Enfin, puisque nous sommes privés d’entretien du 14 juillet, un mot sur celui que le nouveau président de la République a accordé au JDD. Cinq questions sur l’« ouverture », une sur ses relations avec le Premier ministre, les appréciations du grand homme sur ses illustres semblables (« Tony Blair, je l’aime beaucoup »), un mot sur Cécilia (invitée à construire elle-même son « statut » d’épouse du chef de l’État), mais rien, absolument rien, sur le contenu social des lois qui se votent en avalanche ces jours-ci. On ne saurait faire plus « people ».

Deux informations, tout de même : pour bénéficier de la grâce présidentielle quand on est en bout de peine dans une de ces prisons insalubres qui font la honte de notre pays, il faut, nous dit Nicolas Sarkozy, avoir sauvé « trois enfants en train de se noyer ». Ce qui limite singulièrement le champ d’application de cette tradition humanitaire. Et cette dernière chose qui donne idée de la société vers laquelle nous allons. Pour lutter contre le terrorisme, Nicolas Sarkozy nous promet des millions de caméras de vidéosurveillance dans nos villes. L’information aurait pu susciter quelque réserve éthique. Elle n’a suggéré aux deux journalistes que cette interrogation angoissée : « Quand le plan pourrait-il être proposé ? » Espérons que leurs carrières résisteront à tant d’impertinence.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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