La beauté du geste…

En juillet, le Tour de France a été l’objet de plusieurs scandales. Le service public passe outre l’éthique et mesure son audimat. Pareil programme entoure les championnats du monde d’athlétisme.

Jean-Claude Renard  • 30 août 2007 abonné·es

La chanson de générique de fin des retransmissions sportives est bien choisie. Voilà deux ans que France Télévisions serine son téléspectateur avec la chanson de Zazie «~Pour la beauté du geste~». Le mois dernier, le service public a mis le paquet sur le Tour de France. Il ressert les plats en cette fin août à l’occasion des championnats du monde d’athlétisme. Ce ne sont pourtant pas les tumultes qui ont manqué sur la Grande Boucle. Avec à l’écran Gérard Holtz, journaliste vedette de France 2 qui n’en finit jamais dans le surpoids de la complicité d’un système rompu à la triche.

Chronologie~: le 18 juillet, Sinkewitz, un jeune coureur allemand de l’équipe T-Mobile est positif à la testostérone. Le contrôle date de juin. Sur le plateau post-étape, Holtz s’empresse de préciser la date. Parce que, forcément, le Tour de France est propre. Et tous les coureurs, au départ, ont signé une charte éthique. Balle peau pour le renouveau du cyclisme que Sinkewitz incarnait et pour la T-Mobile engagée dans l’eau claire. Dans la foulée, les deux chaînes publiques allemandes cessent la retransmission du Tour. Coup de tonnerre financier. Car ARD et ZDF diffusent la Grande Boucle dans le cadre d’un contrat avec ASO (Amaury Sport Organisation), taulier du Tour, d’un montant global de 30 millions d’euros par an. Coup de tonnerre car pas de retransmission, pas de sponsor. Ni d’argent. Or la T-Mobile investit 13 millions d’euros par an dans le vélo. Quand la diffusion cesse, tout s’écroule.

Sauf sur France Télévisions, qui, depuis dix ans d’affaires de dopage, n’a jamais varié dans ses choix. Pour Daniel Bilalian, patron du service sport, «~ce n’est pas la meilleure manière d’aider la lutte antidopage, ni le Tour, qui s’en est fait un cheval de bataille~» . Pour la bonne cause, il s’agit précisément de diffuser le Tour (au prix de 23 millions d’euros). 20 juillet, deuxième branle-bas. L’Union cycliste internationale (UCI) annonce que Rasmussen ne s’est pas présenté à divers contrôles antidopage inopinés. Le Danois est alors maillot jaune, déjà vainqueur d’une étape alpestre. Froid malaise. Il n’est pas positif mais a manoeuvré de sorte à éviter les contrôles les mois précédant la course. C’est un pur grimpeur. À Albi, au cours du contre-la-montre, il réalise un chrono exceptionnel dans une spécialité de rouleurs. Il est taillé comme un cure-dent, tire des braquets de piliers. Le lendemain, il réédite dans les Pyrénées, à peine devancé par un Espagnol, Contador, autre grimpeur, autre bon chrono du contre-la-montre. Les grimpeurs deviennent rouleurs, et inversement. Dans cinq ans, on verra gicler un sprinteur en haut du mont Ventoux. Sur le plateau de Beille, ils vont plus vite qu’Armstrong confondu à l’EPO (près de deux minutes de moins dans l’ascension).

Enthousiasme plein et entier de Holtz. C’est son gagne-pain. Le lendemain, 23 juillet, après moult défaillances, Vinokourov l’emporte en solitaire à Loudenvielle. Holtz montre à la caméra les genoux ponctués de points de suture de Vino. Les stigmates du courage. Le 24 juillet au soir, Vino est contrôlé positif. Transfusion homologue. Le doute persiste sur Rasmussen. Holtz ne dit mot, se concentre ravi sur la foule toujours nombreuse, l’audimat toujours excellent (3,6 millions de téléspectateurs en moyenne, 39,2~% de part d’audience). La presse, les autorités du Tour ont trouvé leur Judas. C’est l’hallali sur le Danois. Le dérailleur en guise de couronne d’épine. Il est crucifié le 25 juillet, sur l’autel de l’éthique. Exclu par son équipe, la Rabobank (banque néerlandaise, versant 10 millions d’euros par an à son équipe), sous la pression du sponsor et des organisateurs. L’air était vicié, «~maintenant tout le monde respire~» .

Holtz glousse dans la probité revenue, la pugnacité du journalisme. Pas un doute sur le nouvel Élu, Contador, pédalant aussi vite que le cure-dent, impliqué l’an passé dans l’affaire Puerto (trafic de transfusions sanguines). Trop d’argent en jeu et beaucoup d’intérêts dans la complicité muette. Dans le dernier contre-la-montre, synonyme de triomphe final, le commentateur bat la seconde quand il devrait compter en poches de sang. À l’arrivée sur les Champs-Élysées, il plante la caméra sur la cicatrice crânienne de Contador. Témoignage irréfutable d’une rupture d’anévrisme. Gros plan. Il ajoute du spectaculaire larmoyant dans le spectacle. Pour la beauté du geste.

On n’efface rien. Les championnats du monde d’athlétisme ont commencé ce 25 août. France Télévisions se succède à elle-même, Monteil à Holtz. Même litanie. La diffusion, les sponsors et son audimat. Il y aura peut-être un sumo en finale du 100 mètres.

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