« Choisir les alternatives »

Réalisateur du documentaire « l’Assiette sale » sur l’exploitation de saisonniers étrangers dans les Bouches-du-Rhône, Denys Piningre défend une agriculture saine et à visage humain.

Thierry Brun  • 6 septembre 2007 abonné·es

Il n’est pas facile de réaliser un film dénonçant l’agriculture intensive, et tourner l’Assiette sale vous a pris du temps. À quand remonte ce projet ?

Denys Piningre : Le projet de ce film, qui avait alors pour titre Saint-Martin, le Rif et les tomates rouges
[^2], remonte à 2005, lorsque, pour la première fois, des ouvriers saisonniers étrangers sous contrat « OMI [^3] » se sont mis en grève dans une grande exploitation arboricole entre Arles et Salon-de-Provence. Le propriétaire, constatant qu’un virus était en train de bouffer sa production et qu’il allait devoir fermer l’exploitation, avait arrêté de payer les innombrables heures supplémentaires dues à ses employés. Faire grève signifiait pour ces derniers la certitude de ne pas être repris l’année suivante, ni ici ni ailleurs.

J’ai pu, à l’occasion de ce conflit, rencontrer des ouvriers et filmer leurs conditions de logement. Plus tard, je suis allé au Maroc filmer la région d’où viennent beaucoup de ces saisonniers, pour montrer leur village, la vie qu’ils ont là-bas et aussi ce que c’est que d’attendre un éventuel contrat, sans aucune certitude…

J’ai progressivement trouvé les moyens de la production, d’abord grâce à une souscription dont Politis avait relayé l’appel, puis à un montage financier plus classique.

Qu’avez-vous découvert en suivant l’itinéraire de ces saisonniers étrangers ?

En faisant le film, j’ai vu que ces contrats « OMI » permettent à certains employeurs de faire à peu près ce qu’ils veulent… mais pas tout à fait. Bien des excès ont été constatés et font l’objet de procès en ce moment. Le film va bien au-delà d’une simple dénonciation. Il met en lumière les liens qui existent entre l’agriculture intensive et une forme d’esclavage moderne en Provence, mais que l’on retrouve à l’identique dans d’autres pays riches, en Californie, en Espagne ou en Italie… Il montre également que cette agriculture est dépendante de la grande distribution, qui fixe les prix et les fait baisser en jouant les zones de production les unes contre les autres. Elle réalise de cette manière des marges de plus en plus importantes, qu’elle reverse généreusement à ses actionnaires. Une des conséquences de ces agissements est que les trois quarts des exploitations agricoles du département des Bouches-du-Rhône ont dû fermer ces quinze dernières années, asphyxiées par des prix d’achat inférieurs aux coûts de production.

Votre film plaide aussi pour une autre forme de consommation. Qu’entendez-vous par là ?

Il est pour moi évident que, si rien ne change, si l’on continue à acheter dans les supermarchés nos fruits et nos légumes, poussés hors-sol à grands renforts d’engrais chimiques, d’une certaine façon, on cautionne cette forme d’agriculture qui exploite les hommes, pourrit la terre et l’eau, et nous empoisonne à petit feu. Alors, il est plus que temps de se tourner vers les alternatives qui pointent le bout de leur nez ici et là : les Amap [^4], les paniers paysans, les boutiques de producteurs, le réseau des Biocoop, toutes ces actions qui favorisent une agriculture saine à dimension et visage humains.

La FAO, émanation de l’ONU, a publié une étude qui montre que la culture biologique apporte des réponses satisfaisantes pour résoudre la question de l’alimentation à l’échelle de la planète. Il est plus que temps de s’y mettre ! Et plus ce sera répandu, plus les prix seront abordables. Tout est affaire d’organisation : on a vu, par exemple, un comité de chômeurs s’entendre avec un couple d’agriculteurs, ceux-ci livrant à ceux-là des paniers de fruits et légumes de bonne qualité, pas plus chers que des produits de qualité bien moindre qu’on trouve dans les grandes surfaces.

[^2]: Il existe aussi une version télévisée du film, d’une durée de 57 minutes, qui porte toujours le titre de Saint-Martin, le Rif et les tomates rouges . Mais, pour Denys Piningre, la seule vraie version est le long métrage l’Assiette sale .

[^3]: L’Office des migrations internationales (OMI) a mis en place ces contrats de saisonniers qui laissent aux employeurs de grandes marges de manoeuvre et n’apportent aux ouvriers que le droit de travailler et de se soumettre. L’OMI est aujourd’hui remplacé par l’Agence nationale d’accueil des étrangers et des migrations (Anaem).

[^4]: Association pour le maintien d’une agriculture paysanne.

Temps de lecture : 4 minutes