Élections à haut risque

Prix Nobel de la paix, Rigoberta Menchú mène une campagne difficile en vue du scrutin du 9 septembre. Elle ne sera probablement pas au second tour le 4 novembre.

Claude-Marie Vadrot  • 6 septembre 2007 abonné·es

Le 28 août, Clara Luz López, candidate proche de Rigoberta Menchú dans la municipalité de Cassilas, dans le sud-est du pays, a été abattue de plusieurs balles devant son domicile. Au cours des dix-huit derniers mois, les autorités guatémaltèques ont enregistré 8 692 assassinats, dont 2 904 au cours des six premiers mois de 2007. L’équivalent, si les chiffres sont rapportés à la population (14,6 millions d’habitants), de 36 500 meurtres sur le territoire français, alors qu’il y en a eu 980 pour l’année 2006 ! Cet écart dit clairement le climat de violence dans lequel se déroule la campagne électorale qui s’achèvera le 9 septembre par l’élection des conseillers municipaux, des parlementaires et du président de la République.

La vedette de cette élection, surtout à l’étranger car elle est assez mal connue dans le pays, est Rigoberta Menchú, prix Nobel de la Paix, qui peine d’autant plus à s’imposer dans la campagne que plusieurs candidats de son parti, Rencontre pour le Guatemala, ont déjà été assassinés, et que deux de ses filles ont été blessées au cours d’un attentat. Les partisans de « l’Indienne » ne sont d’ailleurs pas les seuls visés. Les partis de gauche, et dans une moindre mesure la Grande Alliance nationale, la formation conservatrice au pouvoir, ne sont pas épargnés par cette situation qui pèse à la fois sur la préparation des élections et sur la vie quotidienne. Le candidat du centre gauche, Álvaro Colom, qui a les faveurs des sondages pour le premier tour, a perdu tragiquement vingt et un de ses collaborateurs proches.

Tous les jours, l’équipe de campagne de Rigoberta Menchú, malgré les risques, part à bord de plusieurs minibus précédés par le 4X4 de la candidate, pour prendre la parole dans les petits villages de l’intérieur, là où se gagneront les élections, puisque la majorité des habitants du pays vit encore dans les zones rurales. Là où vit l’essentiel de la population d’origine maya, qui représente au moins la moitié des citoyens de ce pays ; des citoyens qui ont vécu jusqu’en 1996 une terrible guerre civile (250 000 morts), dont on parle encore dans tous les villages et toutes les haciendas. Y compris celles où, avec l’aide de l’association américaine Rainforest et d’une agence des Nations unies, s’organise une culture du café fondée sur des pratiques à la fois écologiques et équitables. Mais, en général, ce sont les grands propriétaires, proches du pouvoir, qui jouent les équitables…

Tous les membres de cette équipe de campagne le disent : le danger est partout, les risques sont au plus haut. À cause des bandes armées de jeunes, les maras , des trafiquants de drogue et des forces paramilitaires qui pratiquent le racket, les enlèvements d’enfants, depuis que les militaires ne sont plus, au moins officiellement, au pouvoir. Situation d’autant plus ambiguë que, depuis plus d’un an, les militaires participent officiellement au maintien de l’ordre aux côtés des forces de police. Ce qui n’a pas modifié l’atmosphère du pays. D’abord, parce que beaucoup de gens décident parfois de faire justice eux-mêmes ; ensuite, parce que les meurtres politiques ont redoublé depuis quelques mois. Au début de l’été, le Président actuel, Oscar Berger, a d’ailleurs reconnu que le niveau de la violence augmentait et que les forces de sécurité de l’État étaient largement dépassées. C’est le moins que l’on puisse dire : il suffit de circuler le soir, dans la périphérie de Guatemala City, la capitale, pour entendre des coups de feu, des rafales d’armes automatiques.

Les espoirs de Rigoberta Menchú d’accéder à 48 ans à la présidence sont si faibles qu’il y a quelques semaines, elle a failli abandonner : les sondages la donnent en quatrième ou cinquième position, avec moins de 6 % des voix. Car elle ne fait même pas l’unanimité parmi les populations indiennes, dont certaines ethnies se haïssent.

Son ethnie, les Quiché, est honnie par une dizaine d’autres. Il lui est aussi reproché de s’être réfugiée au Mexique pendant la guerre civile et de devoir sa reconnaissance à l’étranger. D’où sa répugnance à se confier longuement aux reporters étrangers, les journaux du pays étant trop prompts à monter en épingle ses rares déclarations aux médias extérieurs, même latino-américains, chacun essayant tour à tour de la tirer vers Hugo Chávez, Evo Morales, Lula ou Michelle Bachelet. Son acceptation d’un poste de médiatrice des accords de paix de 1996 au sein du gouvernement conservateur d’Oscar Berger constitue un autre handicap aux efforts de rassemblement dont elle se veut l’avocate. Elle l’admet elle-même : « C’est très dur, et je travaille pour l’avenir, pour redonner aux Indiens une confiance en eux-mêmes. C’est pour cela que je ne m’adresse qu’à eux. » Pour cela, malgré les soucis d’argent, elle aura été en campagne jusqu’au bout, mais, ses collaborateurs l’admettent, devant de bien maigres assistances, qui ne croient plus à aucune promesse, surtout quand Rigoberta, ou un autre, annonce la fin de la corruption qui mine le pays.

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