« Le Grenelle de l’environnement peut aller très loin ! »

Ingénieure du génie rural, des eaux et des forêts, Nathalie Kosciusko-Morizet a une réputation d’écologiste sincère et compétente. Secrétaire d’État à l’Écologie dans un gouvernement libéral, pourra-t-elle se faire entendre ?

Claude-Marie Vadrot  • 20 septembre 2007 abonné·es

Vous avez la réputation de bien connaître les dossiers sur la nature et l’environnement. C’est une passion personnelle, un choix raisonné, un choix politique ?

Nathalie Kosciusko-Morizet : C’est un choix que j’ai fait avant d’entrer en politique, il y a dix ans, quand j’étais encore étudiante. Il s’agit donc d’un choix personnel. Après les sciences dures, j’ai voulu m’initier à la biologie, à l’écologie, au fonctionnement des écosystèmes. Ce qui m’a permis de comprendre que l’écologie était le grand enjeu du XXIe siècle et qu’il était temps de modifier, de réinterpréter des politiques publiques dont beaucoup sont à bout de souffle.

Est-ce que votre intérêt pour la démarche écologique, votre engagement ne sont pas en contradiction avec le système économique auquel vous êtes identifiée ?

Le gouvernement dont je fais partie croit à l’économie de marché mais aussi à ses régulations. Les économies très administrées sont catastrophiques pour l’environnement, ne serait-ce que parce que, dans ces situations, les gens ne se sentent pas partie prenante ; et alors les politiques environnementales ne marchent pas bien. Donc, nous sommes dans un libéralisme régulé, pas dans l’ultralibéralisme, ce qui nous offre des possibilités d’action. N’oubliez pas que ce sont les libéraux qui ont inventé les régulations.

Que voudriez-vous réussir avant que les aléas de la politique ne vous amènent à quitter votre poste ?

Au moins deux choses. D’abord, sur le plan international, réussir à ce que la France reprenne le leadership dans les négociations sur le climat. Il y a urgence. Sur le plan intérieur, je ne crois pas à la décroissance, mais je veux convaincre qu’il nous faut passer à une économie qui soit créatrice d’emplois et renonce au gâchis actuellement organisé par notre société. Je voudrais que chacun comprenne que l’on crée des désordres en mettant en avant la consommation et la destruction. On peut y arriver sans décroissance, en se focalisant sur la qualité. Il existe une demande émergente en ce sens, et je veux y répondre.

Les rares bons ministres de l’Environnement, sur les 29 qui se sont succédé depuis 1971, ont tous payé leurs convictions de leur carrière politique, cela ne vous inquiète pas ?

Oui, des gens m’ont dit cela au ministère. Je ne sais pas répondre à cette question. Mais j’ai la conviction qu’il est possible de faire une carrière politique en allant au bout de soi-même. Nous sommes tellement surexposés, médiatiquement, que, si le public perçoit une dissonance entre l’image et la réalité, cela ne marche pas. Les gens veulent que les politiques soient vrais, qu’ils évitent le mensonge ; alors si on pense réussir en ressemblant aux autres, cela ne fonctionne pas, ce n’est pas moral. On m’a dit aussi qu’un politique qui se marque trop se perd. Mais j’évite de me poser la question que vous évoquez.

En matière d’écologie, la droite et la gauche ne se cantonnent-elles pas dans l’incantation ?

D’une façon générale, dans ce domaine, les élus ont un temps de retard, je l’ai constaté en bataillant durement pour faire adopter la Charte de l’environnement voulue par Jacques Chirac. Vous savez, ce n’était pas gagné d’avance ; au début, il n’y avait pas de majorité pour ce texte. Le déficit écologique reste important dans le monde politique. Le manque de culture scientifique y est manifeste. Et les élus locaux voient dans le monde associatif des empêcheurs de tourner en rond. Mais je compte beaucoup sur les femmes, sur les mères de famille pour amener les élus à changer. Car il y a dans la maternité un souci de l’autre, de la santé, de l’alimentation saine qui pèsera de plus en plus : les femmes ont toujours été nombreuses dans les associations environnementalistes.

À quoi la Charte de l’environnement a-t-elle servi ?

D’abord, j’ai vu des élus basculer au cours de la discussion ; ils se sont rendu compte qu’il existait une demande de l’opinion. N’avoir rien dans la Constitution sur ce nouveau droit de l’homme était un manque, l’y ajouter est un symbole. Cette charte n’a pas encore donné tout son potentiel, elle n’a pas été utilisée par des élus pour contester une loi. Mais ­c’est très important­ des associations ont déjà utilisé avec succès l’article 5, qui porte sur le principe de précaution, devant des tribunaux administratifs pour contester une décision.

Le « Grenelle de l’environnement » est dans tous les esprits : est-il bien raisonnable de réunir tant de monde ? La recherche de consensus ne risque-t-elle pas d’être contre-productive ?

Le « Grenelle » est d’abord une méthode, une recherche de partenariat pour voir sur quoi tous les acteurs sont prêts à faire un effort. J’ai senti qu’il existait un besoin de mobiliser tout le monde et un désir de beaucoup de Français de se bouger. J’ai donc l’impression que, d’ici à la fin du mois d’octobre, il peut se passer quelque chose, des accords surprenants. Je crois qu’il sera possible d’aller très loin : les thèmes abordés touchent tout le monde. Ce Grenelle est l’illustration d’une biodiversité. Et nous recevons, avec Jean-Louis Borloo, des lettres d’insultes de ceux qui ne participent pas. C’est bon signe ! Cela ne les empêche pas de nous envoyer ensuite leurs suggestions.

Abordons maintenant les questions qui fâchent. Le nucléaire ?

Le Président a été très clair, on ne revient pas sur les décisions prises… Mais pourquoi ne pas se donner comme objectif de devenir leader des énergies renouvelables, de la même façon que nous sommes déjà leader sur le nucléaire ?

Et les OGM ?

La situation actuelle est d’autant moins satisfaisante que les décrets ont écarté le débat et ne transposent pas intégralement la Directive européenne. L’État est pris en défaut, notamment en défaut de transparence. Il faudra une loi, ne serait-ce que pour établir les responsabilités juridiques. Il faudra aussi une refonte des organismes consultatifs, qui sont à bout de souffle. Nous pouvons aussi proposer des modifications aux autres pays européens, et profiter pour cela de ce que la France présidera l’Union européenne au deuxième semestre 2008.

Un moratoire ?

C’est en débat dans le Grenelle. Mais, attention, le mot cache, selon les interlocuteurs, des revendications différentes. Moratoire sur tous les OGM, y compris la recherche, y compris les OGM pharmaceutiques ? Moratoire sur les OGM alimentaires ? Moratoire sur les cultures en plein champ ? Moratoire sur les nouvelles cultures commerciales ? Moratoire sur les OGM-pesticides ? Moratoire sur un OGM en particulier ? À ce stade, les discussions courent, et il n’est pas encore temps de les trancher…

Le réchauffement climatique ?

Je ne suis pas d’un optimisme radieux. Je vais bientôt à Washington représenter la France dans une table ronde lancée par les Américains sur le sujet. Je veux convaincre qu’il faut que chacun oublie ses égoïsmes ou ses intérêts immédiats pour agir efficacement. La situation actuelle ne peut pas durer. Le président de la République rappelait dans son discours aux ambassadeurs qu’un grand pays comme les États-Unis devait aussi être exemplaire pour l’environnement.

Terminons par une initiative qui paraît faire l’unanimité : l’opération Vélib’.

C’est un succès mérité, j’aime bien, j’ai essayé en empruntant la carte d’abonnement de ma directrice de cabinet. Il faudrait simplement que Paris ne joue pas trop perso et ne se replie pas sur lui-même, et pense, en matière de transport, aux villes de la périphérie parisienne.

Écologie
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