« Les pays en développement n’ont pas vraiment le choix »

L’Europe pousse soixante-dix-sept pays à signer des accords commerciaux iniques. Oxfam France-Agir ici prépare une journée d’action, le 27 septembre. Les explications d’une de ses responsables, Caroline Dorémus-Mège.

Xavier Frison  • 20 septembre 2007 abonné·es
« Les pays en développement n’ont pas vraiment le choix »

Que sont les Accords de partenariats économiques (APE) ?

Caroline Dorémus-Mège : Ce sont des accords commerciaux qui unissent l’Union européenne (UE) et six régions des pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP), soit soixante-dix-sept pays en développement. Depuis la décolonisation, quasiment tous les produits exportés par ces pays ont bénéficié d’un accès libre de droits de douanes aux marchés européens, sans contrepartie. Mais, en 2000, l’Europe, tancée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a dû se mettre en règle. Ce régime commercial a été considéré comme non conforme parce qu’il accordait des préférences à un groupe de pays non reconnu. En effet, l’OMC peut accorder des préférences commerciales soit à tous les pays en développement, soit à un groupe plus restreint appelé les Pays les moins avancés (PMA). Or, on retrouve les deux catégories dans les pays ACP. L’Union a donc dû trouver très vite un nouveau système commercial. Si elle ne l’avait pas fait, d’autres pays en développement se seraient sentis lésés et l’auraient attaquée juridiquement pour non-respect des règles et concurrence déloyale. D’où les accords de Cotonou négociés en 2000 entre l’Europe et les pays ACP.Le volet sur les APE doit entrer en vigueur avant le 31 décembre 2007.

Illustration - « Les pays en développement n’ont pas vraiment le choix »


Sur un marché d’Asmara, la capitale de l’Érythrée.
MARTELL/AFP

En quoi posent-ils problème ?

Le délai est trop court pour négocier des accords de cette ampleur. Il n’y a qu’à voir les conséquences négatives des accords signés entre les États-Unis et les pays d’Amérique latine. Les pays ACP vont devoir ouvrir leurs marchés aux produits européens. Ce faisant, ils vont se retrouver face à une concurrence disproportionnée. C’est vrai dans le domaine agricole, où des produits subventionnés arriveront à des prix très bas sur les marchés africains et concurrenceront les mêmes produits locaux. Très vite, les producteurs n’arriveront plus à vendre leur production. C’est vrai aussi pour l’industrie : certaines filières porteuses de développement futur, comme l’agro-industrie, vont souffrir de n’avoir pas pu se renforcer avant la libéralisation. Ces filières vont être tuées dans l’oeuf avant même d’avoir pu grandir.

Les pays ACP vont également perdre des recettes douanières, une de leurs rares sources de revenus conséquents. Et il n’y a pas, pour l’instant, de solutions compensatoires. Certains États risquent de se retrouver dans l’incapacité de financer leurs services publics ou sociaux.

Enfin, les pays ACP négocient avec six régions : quatre en Afrique, la région Caraïbes et la région Pacifique. Ce regroupement est une bonne chose en matière de développement. Mais l’UE tente de l’accélérer alors que c’est un processus extrêmement lent. Il faut d’abord privilégier les intégrations régionales avant de signer des accords commerciaux avec le reste du monde. Sinon, on fragilise tout le processus.

Où en sont les négociations aujourd’hui ?

La tension monte entre les pays africains et l’Union. Certaines régions comme l’Afrique de l’Ouest ou la région Pacifique ont annoncé qu’elles n’étaient pas prêtes, contrairement à la région Afrique centrale. On peut craindre qu’à la date butoir, seuls des accords cadres seront signés, qui, assez globaux, n’aborderont pas des questions comme la réduction des droits de douanes. En outre, les méthodes de l’Union fâchent de plus en plus, notamment le chantage à l’aide au développement. Cet été, la région Pacifique a appris que son aide serait réduite de 48 % si elle ne signait pas ces accords. On ne saurait être plus clair.

Que se passe-t-il si un pays ne signe pas un APE ?

Les Pays les moins avancés (PMA) bénéficient déjà d’un système préférentiel d’accès libre aux marchés européens, excepté pour les armes. Et ils sont censés pouvoir le conserver. Mais, comme ils sont désormais intégrés à des ensembles régionaux, rester hors APE signifierait pour eux s’isoler économiquement, cependant que les produits européens importés par les pays alentours circuleraient de toute façon sur leur marché intérieur. Quoi qu’il arrive, ces pays dissidents subiront les conséquences de l’APE. Pour les autres pays concernés, le risque est le même : s’exclure du processus de développement régional. C’est un prix trop important à payer. Ces pays n’ont, au final, pas vraiment le choix.

Quel type d’aide préconisez-vous ?

Si l’on veut intégrer ces pays dans l’économie mondiale, il faut commencer par appuyer les filières et les acteurs locaux. En résumé, renforcer certains secteurs pour qu’ils soient en capacité de produire, de commercer localement et régionalement, avant de s’ouvrir au commerce global. En attendant, nous préconisons une protection de ces marchés. Il faut aussi se donner du temps. Nous en avons besoin pour réaliser des études sur l’impact potentiel de ces APE par exemple. Difficile d’évaluer la durée nécessaire à un processus de développement. Mais on ne peut ignorer que la région Afrique de l’Ouest a demandé un délai de trente ans avant de démarrer cette libéralisation. Entre les trois mois qui nous séparent du 31 décembre et trente ans, l’Union est loin de ces partenaires ! Certes, elle affirme que tout ne va pas démarrer au 1er janvier 2008. Mais l’article de l’OMC dont dépendent les APE laisse entendre que la libéralisation complète des marchés des pays ACP sera effective dans dix ans, soit en 2018. Cela paraît fou.

Quelle forme prend la mobilisation d’Oxfam ?

Nous nous appuyons sur un réseau qui réunit des ONG et des associations paysannes des pays ACP et européens. Nous avons beaucoup échangé au Forum social mondial de Nairobi, et une première journée d’action a eu lieu le 19 avril dernier. Dans chaque pays participant, nous avions visé les ambassades d’Allemagne, alors présidente de l’Union européenne. Pour la prochaine journée d’action, prévue le 27 septembre, nous nous mobilisons derrière un message commun : impossible de signer quoi que ce soit avant le 31 décembre, ne signons pas un mauvais accord et demandons une alternative. Ensuite, chaque pays va mener ses propres actions. Notre coalition française [^2] demandera un rendez-vous à l’Élysée et au ministre du commerce extérieur. Mais je suis assez pessimiste, car la France a tendance à suivre la politique de la Commission européenne.

[^2]: Les détails sur : .

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