L’ivresse et l’amour

Portrait d’un Chester Himes réinventé par
Eva Doumbia et incarné par Fargass Assandé.

Gilles Costaz  • 27 septembre 2007 abonné·es

Longtemps, Chester Himes eut comme seule réputation d’être un bon auteur de romans policiers. Ce Noir américain, dont l’oeuvre est largement autobiographique, évoque en fait la situation des hommes de couleur dans les États-Unis des années 1950, leur oppression, leur exclusion, leurs blessures inguérissables. Il parle beaucoup aussi des relations sexuelles, si fréquentes en dépit des interdits sociaux et puritains, entre Noirs et Blanches.

C’est sur ce thème qu’Eva Doumbia, Française d’origine ivoirienne, directrice de la compagnie La Part du pauvre, travaillant surtout à Marseille et à Ouagadougou, a construit son spectacle, Primitifs. Elle voulait adapter le livre de Chester Himes la Fin d’un primitif , mais elle n’a pu en obtenir les droits. Qu’à cela ne tienne~! Elle a commandé une pièce sur ce sujet au Camerounais Kouam Tawa, et y a injecté des citations de Chester Himes, Howard Zinn, Martin Luther King, etc.

En scène, il y a un romancier noir qui ne s’appelle pas Himes, mais qui est son double. Il dit à la fin les phrases de l’écrivain sur la notion de «~primitif~» (le «~primitif~» n’est pas plus méchant qu’un animal ; l’«~humain~», lui, pousse au-delà de l’imaginable la cruauté, qui n’est pas la raison d’être de l’animal). Mais, dans un premier temps, et pendant presque tout le spectacle, il se préoccupe de ce qui fait l’essentiel de sa vie~: les femmes, l’alcool et l’écriture. Au centre, il n’y a qu’un lit, lieu de plaisir et de combat, et, sur les côtés, des bouteilles. L’homme dialogue avec une femme blanche et l’étreint. D’autres femmes passeront~: une Noire, des Blanches. Dans un coin, une enveloppe contient les épreuves d’un livre~: un manuscrit charcuté sans gêne par l’éditeur américain…

C’est à la fois une journée et cent journées, une nuit et cent nuits. De quoi faire le tableau d’amours qui vont toujours vers la rupture, aussi folles et mystérieuses que l’alcool. Et de quoi tracer le portrait d’un écrivain fascinant, brillant, désespéré, rieur, lancé dans une course contradictoire vers la lucidité scandaleuse de l’esprit et l’aveuglement par l’ivresse. Cet homme est interprété par un acteur extraordinaire, Fargass Assandé, révolté et calme, allègre et sombre, joueur et grave. À ses côtés, Jocelyne Monier et Nanténé Traoré jouent plusieurs rôles, abandonnent leur incarnation pour donner leur point de vue et redeviennent les créations de Chester Himes. Un danseur noir, Massidi Adiatou, surgit parfois, fait des claquettes et des sauts~: image du Noir tel qu’on le voyait naguère, un acrobate de music-hall avec le sens du jazz et du rythme~! Une spirale de douleur et d’émotion.

Culture
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