Satan à l’Onu

Denis Sieffert  • 27 septembre 2007 abonné·es

Une assemblée générale des Nations unies devrait être un événement considérable. Mais elle n’est guère en réalité qu’un théâtre d’ombres, car chacun sait que le pouvoir est ailleurs. À New York, il n’est jamais très loin, mais sûrement pas dans cette grand-messe du multilatéralisme célébrée au pays le plus unilatéraliste du monde. L’ONU aux États-Unis, c’est l’équivalent d’un colloque sur les droits des femmes à Riyad. Régulièrement, cependant, on s’amuse de voir un « grand Satan » de l’Amérique profiter de son immunité diplomatique pour venir côtoyer (on dit « défier » dans le langage médiatique) les chevaliers blancs de la Justice internationale. Cette fois, avec Mahmoud Ahmadinejad, c’était un Satan aux petits pieds, même plus majoritaire dans son pays, qui devait monter à la tribune mardi, après George W. Bush et Nicolas Sarkozy… L’événement change rarement la face du monde. On se souvient seulement qu’un autre « Satan » de l’Amérique, accueilli comme aujourd’hui l’Iranien ­ par un déchaînement de haine ­, avait su en quelques mots détruire l’image de fedayin irascible que ses ennemis avaient composée. C’était en 1974, Yasser Arafat : « Je suis venu devant vous un rameau d’olivier dans une main, un fusil dans l’autre main, avait lancé le leader palestinien, ne laissez pas tomber le rameau d’olivier. » En un instant, le mythe du personnage assoiffé de sang et dépourvu de toute rationalité avait disparu. Vingt ans plus tard, le « terroriste » allait devenir prix Nobel de la paix. Avant de redevenir « terroriste » dans le vocabulaire de ses ennemis. L’exemple d’Arafat devrait à lui seul faire réfléchir sur la relativité des mots et la fragilité des étiquettes.

Mais, mardi, il ne fallait évidemment pas attendre de Mahmoud Ahmadinejad qu’il parvienne à toucher l’opinion publique occidentale. Il n’a pas le charisme d’Arafat. Et il a tenu naguère sur l’holocauste des propos négationnistes qui le discréditent, même dans l’ordre symbolique. Et puis il n’est rien dans l’histoire de son peuple, si ce n’est le produit conjoncturel d’une crise politique et morale. Il devrait donc passer. Encore faut-il que l’on aide les Iraniens à se doter d’une autre représentation politique. Et ce n’est sûrement pas en leur faisant la guerre qu’on y parviendra, ni en confondant Ahmadinejad avec l’Iran. Car s’il est là, c’est qu’il y a des raisons qui ne sont pas toutes iraniennes. Il faut déjà avoir la mémoire courte pour ne pas se souvenir que le régime des mollahs est né en réaction contre les excès du régime du shah, dont l’opulence provocatrice suscitait l’extase des Occidentaux, indifférents aux sinistres exploits de sa police politique. Et l’avènement de M. Ahmadinejad au sein du régime des mollahs n’est pas étranger non plus à la politique de tension entretenue dans cette région du monde par les États-Unis. L’histoire des pays n’est jamais sui generis . Elle dépend pour partie de l’environnement international. À cet égard, l’hystérie médiatique qui a accueilli à NewYork le président iranien fait partie des causes. Elle ne peut s’expliquer par sa seule personnalité ou ses propos naguère indécents. Elle dit aussi quelque chose de l’Amérique de George Bush. Car, depuis plusieurs mois, le syndrome « Fox News » (le conditionnement de l’opinion à la guerre par certains médias) est de nouveau à l’oeuvre. Dans la presse, le choix du vocabulaire est édifiant : « Monstre », « diabolique », « Hitler de l’Iran »« Le mal est arrivé » , titrait le Daily News. La sémantique de l’irrationnel était partout.

Condoleezza Rice, que la fonction devrait inviter à plus de réserve, n’a pas été en reste : « Voilà quelqu’un qui préside un pays qui est probablement le plus grand sponsor du terrorisme d’État », s’est-elle écriée. On aimerait pouvoir dire sereinement à Mme Rice que son propre pays est ­ au moins par sa politique, sinon par le « sponsoring » ­ un pourvoyeur de terrorismes infiniment plus efficace que l’Iran. Et que les excès du discours officiel iranien ont sans aucun doute à voir avec l’injustice de la politique américaine. L’un n’excusant d’ailleurs jamais l’autre. Mais l’usage unilatéral de la force ne peut qu’encourager l’usage de la force. À sa manière, Nicolas Sarkozy a tenté, lundi à New York, de mutualiser les relations internationales. Mais il ne l’a fait que dans le but trop évident d’assurer la promotion internationale du nucléaire made in France . « La France, a-t-il dit, est prête à aider tous les pays qui le souhaitent à se doter de l’énergie nucléaire civile. » Car, a-t-il ajouté en substance, iln’y a pas d’un côté des pays occidentaux qui y auraient droit, et de l’autre des pays au Moyen-Orient qui n’y auraient pas droit. Belle profession de foi égalitaire en effet. Mais, au nom de la même logique, comment pourrait-il justifier que des pays auraient droit à la bombe atomique et d’autres non ? Les uns sont peut-être inquiétants, mais les autres, capables d’anéantir en quelques semaines tout le sud Liban, ou de provoquer la mort de sept cent mille civils en Irak, sont-ils tellement rassurants ?

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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