Sélection pas naturelle

Pour un meilleur contrôle, le ministère de l’Écologie compte privilégier certaines grosses associations aux dépens de plus petites, qui assurent pourtant des missions de service public.

Claude-Marie Vadrot  • 27 septembre 2007 abonné·es
Sélection pas naturelle

La tendance date de 2002, mais c’est Nicolas Sarkozy qui la conceptualisée, pendant sa brève carrière de ministre de l’Économie et des Finances, en 2004 : la cure d’amaigrissement imposée aux associations environnementales sous prétexte que « leur utilité n’est pas évidente et que [leurs] membres utilisent cet argent pour s’opposer à la politique de l’État » . Comme disait Victor Hugo, Napoléon pointait déjà sous Bonaparte. Aujourd’hui, alors que plusieurs associations comme France nature environnement, Bretagne vivante ou la Société nationale de protection de la nature ont déjà dû licencier des salariés, la politique suggérée par le président de la République, et que va appliquer sans état d’âme Jean-Louis Borloo, prend une orientation un peu différente. L’option sera officialisée après le Grenelle de l’environnement : privilégier quelques grosses associations, élevées au rang « d’interlocuteurs fiables », aux dépens des petites structures locales. Celles qui assurent par exemple le suivi des lois, la surveillance de la biodiversité, le comptage des oiseaux, des mammifères ou le contrôle de la qualité des rivières…

Illustration - Sélection pas naturelle


La baisse des crédits entrave l’action des associations de protection des oiseaux. MOCHET/AFP

Ces associations locales ou départementales ont déjà été privées de l’aide que constituaient les emplois jeunes, qui soulageaient les trésoreries et permettaient de former la relève au secteur de la nature et de l’environnement. Si les grandes entreprises bénéficient d’exonérations de charge, les associations doivent maintenant assumer à 100 % le coût d’un salarié. La suppression d’aides à l’emploi touche également de grandes associations. Et le relais des subventions n’est pas souvent pris par les conseils régionaux et généraux, ou est assujetti à un soutien politique. C’est, par exemple, le cas de la Ligue pour la protection des oiseaux, qui s’est longtemps appuyée sur ses salariés pour mener à bien la mission de service public confiée au milieu associatif depuis la loi de 1976 sur la protection de la nature. Cette loi, en inventant le concept « d’associations agréées », reconnaissait qu’avec son personnel réduit (et cela ne s’arrange pas puisque des suppressions de postes sont annoncées parmi le personnel de l’Écologie et du Développement durable), le ministère ne pouvait pas assurer le respect des lois sur la nature et l’environnement dans son intégralité. Aujourd’hui, l’État recule. Comme il recule sur les réserves naturelles, dont la plupart sont gérées ­ encore une délégation de service public ­ par lemilieu associatif./>

Comme l’explique Allain Bougrain-Dubourg, le président de la LPO, qui n’est pourtant pas suspect d’être antigouvernemental, « il va y avoir un recul important de la biodiversité associative, elle risque de disparaître. Cela implique la disparition de toutes les sensibilités, de toutes les singularités, et cela menace nos actions. » Un seul exemple : les associations locales utilisent 10 000 ornithologistes, 1 800 observateurs et 250 bagueurs d’oiseaux. Tous bénévoles. Et indispensables aux recherches du Muséum national d’histoire naturelle. Ils ont besoin de l’appui de quelques permanents, mais les associations ont de moins en moins les moyens de se les offrir.

Pour les mêmes raisons, les associations qui, comme Eaux et rivières de Bretagne, se consacrent à la surveillance des pollutions et de la qualité des cours d’eau, voient leurs activités menacées. Ce qui, évidemment, ne peut que rassurer les agriculteurs ou éleveurs productivistes et les pollueurs industriels. Les associations, en Bretagne et ailleurs, ont été pratiquement seules depuis des années à animer le nécessaire respect des lois et à initier les poursuites judiciaires. Tout comme, de façon générale, le mouvement associatif intervient partout devant les tribunaux administratifs pour contester des décisions en matière d’aménagement et d’application des textes. Souvent avec succès, alors que l’État renonce à faire appliquer ses lois.

Coupables de « contester », alors que c’est officiellement leur rôle, les petites associations sont sur le point d’être définitivement étranglées. D’autant plus que les dossiers de demande de financement deviennent de plus en plus complexes, tandis que le credo général est à la simplification administrative. L’opération nécessite des spécialistes, trop coûteux pour les structures de petites tailles. Résultat : il ne restera bientôt plus que quelques interlocuteurs « institutionnels », et choisis, que les dirigeants pourront facilement tenir en laisse.

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