Sortir du labyrinthe néolibéral

Gérard Duménil  • 6 septembre 2007 abonné·es

Comment s’orienter dans le labyrinthe des politiques néolibérales ?
Les initiatives économiques et sociales de Nicolas Sarkozy ­ fiscalité des revenus, droits de succession, protection sociale, heures supplémentaires, etc. ­ convergent vers des intérêts aisément identifiables, ceux des minorités privilégiées et des entreprises. Mais les controverses qu’elles suscitent à gauche illustrent bien la complexité des mécanismes. Tout tient à tout. Et le « toutes choses égales par ailleurs », plus ou moins explicite dans bien des argumentations, pose de redoutables pièges.

On ne peut critiquer une mesure, une politique particulière, en supposant données les autres composantes du « bouquet » néolibéral. Le néolibéralisme est un tout. Et c’est bien sur cette cohérence générale que se fonde sa déclaration de l’absence d’alternative. L’ordre du compromis social-démocrate antérieur ­ nullement parfait, comme on sait ­ formait, lui aussi, un tout. Un autre. On change un « tout » contre un autre. Ce n’est pas qu’il n’y a pas d’alternative ; c’est que dans un « tout donné », d’un bord ou d’un autre, il y a peu de place pour le changement.

La discussion relative à ladite « TVA sociale » illustre bien ces interdépendances. Les dépenses sociales, notamment de santé, augmentent, en proportion du revenu total. Et pourquoi s’en plaindrait-on ? Est-il préférable de consommer des automobiles que de se soigner ? Pour les financer, il faut y consacrer un pourcentage croissant du revenu total. Première option : augmenter les cotisations sociales. « Mais on va accroître le coût du travail, donc briser l’investissement en France et augmenter les investissements dans d’autres régions du monde, où pauvreté et taux de change de dumping suscitent des rentabilités exorbitantes ! » Mais qui a libéré les mouvements de capitaux et le commerce extérieur, sinon le néolibéralisme ? Seconde option : celle de l’impôt. Le financement des dépenses de santé sur des recettes budgétaires apparaît sans doute comme la meilleure, sinon l’unique, option. L’assiette des contributions est étendue à l’ensemble du revenu, donc aux profits. « Mais la TVA, non ! Chacun sait que la taxation indirecte est le canal permettant de faire peser la charge sur les plus défavorisés. Que les riches paient ! » La réplique d’en haut est la même : « L’impôt sur les hauts revenus ou les profits des entreprises provoque la délocalisation des fortunes ou celle des entreprises. »
Difficile. Pourtant, cette discussion reste encore superficielle. Arrêtons-nous un instant sur la question de la fiscalité des hauts revenus, dont le seul aspect n’est pas la possible « délocalisation » des fortunes. La « pratique » même du très haut revenu appartient à l’essence du néolibéralisme. La finalité historique de cet ordre social a été, et demeure, la maximisation des revenus du capital, intérêts, dividendes et gains en capital (immobiliers ou boursiers). Et ces canaux se conjuguent à ceux des rémunérations faramineuses des hauts dirigeants (salaires et distributions d’actions, ou droit d’acheter des actions à un prix favorable comme dans les stocks-options).

Dans le néolibéralisme, le problème est moins que des fortunes s’expatrient que le fait que des profits s’envolent en intérêts et dividendes au lieu de demeurer dans les entreprises, et d’y servir à financer l’investissement national. Une véritable politique antinéolibérale devrait « prendre le haut revenu à sa source » : limiter les conditions indécentes de sa formation, un mécanisme bien plus efficace que la taxation du revenu déjà constitué, et qui, de surcroît, motive les gestionnaires dans le sens de la conduite de l’expansion de leur entreprise, qu’ils peuvent identifier à leur carrière (au lieu de rêver, à peine en place, au futur « parachute doré »). Motiver une autre action, plutôt que donner pour reprendre, ce qui tourne à l’absurde. « Impossible ? » Mais une telle action sur le revenu des dirigeants n’est pas plus inconcevable que l’imposition.

Un dernier exemple : la question du temps de travail. « Partager le temps de travail, alors que beaucoup souhaiteraient accéder à la propriété pavillonnaire ! » Mais pourquoi travailler davantage priverait-t-il « l’autre » de son travail ? Pourquoi cet antagonisme ? On connaît la réponse. Parce que l’« autre » classe, celle du haut, a maintenu les taux d’intérêt à des niveaux intolérables pendant vingt ans ; parce qu’elle a repris les rênes d’un pouvoir lui permettant d’étendre le terrain de chasse de ses entreprises transnationales à l’ensemble de la planète, de mettre tous les travailleurs du monde en concurrence ; parce qu’elle extirpe les profits des entreprises de production où ils ont été réalisés, au bénéfice d’entreprises financières et de particuliers fortunés.

Dans le labyrinthe néolibéral, les issues sont introuvables. Chaque mesure en commande une autre. Il y a toujours une bonne raison qui rend la préservation d’un avantage social irréaliste. « A » interdit « B », nous dit-on. Changeons donc « A » !

Temps de lecture : 4 minutes