Au-delà du profit

Deux essais nous rappellent que la valeur ajoutée de l’entreprise n’est pas prise en compte par les outils de gestion dominants.

Dominique Plihon  • 25 octobre 2007 abonné·es

Le livre Sortir de l’entreprise capitaliste est un travail collectif qui a bénéficié de l’apport du groupe « entreprise » de l’association Attac. Il est très abordable par un large public. Les Fondements de l’entreprise. Construire une alternative à la domination financière , rédigé par Daniel Bachet, présente quant à lui les résultats d’une longue réflexion d’universitaire également consultant en entreprise. Ces deux ouvrages montrent tout d’abord que la finalité de l’entreprise est de produire des biens et des services dont la contrepartie se mesure par une grandeur économique qui est la « valeur ajoutée » , et non par le « profit » , qui n’est qu’un solde ou un résultat. Ils rappellent qu’en droit « l’entreprise » n’est pas reconnue, et que, par conséquent, sa finalité n’est pas prise en compte par les outils de gestion dominants. Les outils de gestion sur la base desquels les dirigeants prennent leurs décisions (modernisation, délocalisation, restructuration etc.) sont fondés sur les critères de rentabilité de la « société » au sens juridique, derrière lesquels opèrent des indicateurs tels que la « marge » ou le « coût de revient » . Or, si ces approches ne sont pas fausses, elles sont néanmoins partielles, car elles n’engagent que le point de vue des seuls détenteurs de capitaux.

Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que seule la « société » au sens juridique, portée par les actionnaires de contrôle et les propriétaires, a été reconnue dans l’histoire. Cette confusion entre les deux entités est contre-productive et brouille les pistes pour trouver des solutions plus favorables au travail et à l’emploi. L’objectif de la « société » au sens juridique est bien de financer l’entreprise et de dégager un profit. Mais, dans une société, les salariés sont des « tiers » et des « coûts » qu’il faut le plus souvent réduire. N’ayant pas le statut d’associés, c’est-à-dire de propriétaires ou d’actionnaires, ils ne font pas partie de la société ; mais, en tant que collectifs de travail, ils font partie de l’entreprise. Ainsi, les notions d’efficacité ou de performance ne sont pas les mêmes selon que l’on se réfère à l’une ou l’autre de ces entités distinctes. Valoriser la seule entité société, c’est viser un « optimum financier » . Valoriser l’entité entreprise permet au contraire d’obtenir un « optimum économique global ».

L’enjeu est donc de positionner l’entreprise dans son acception d’entité productive produisant des biens et des services « au-dessus » des différentes parties en présence, alors que, depuis l’avènement du capitalisme, c’est la société au sens juridique qui occupe ce rôle. Il faut donc faire exister cette « entreprise » (jamais reconnue car toujours recouverte par la société), afin que la source du pouvoir ne puisse plus provenir de la seule propriété des capitaux. Cette démarche pourrait être définie comme une reconstruction conduisant à un meilleur équilibre entre le pouvoir des salariés et le pouvoir financier.

Les deux ouvrages portent un intérêt manifeste au mode de fonctionnement de l’économie sociale et à ses critères de fonctionnement, même s’ils montrent, par exemple, que les sociétés coopératives (scop) ne pourront se développer pleinement qu’en remettant en question la centralisation financière portée par les grandes sociétés anonymes de capitaux. Ils soulignent enfin que changer les outils et les critères de performance économique de l’entreprise devrait permettre de promouvoir un autre mode de développement plus soutenable écologiquement pour la planète, et plus respectueux de la justice sociale pour les hommes et les femmes. Sans pour autant sacrifier l’efficacité.

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