Défense d’alerter !

Chercheur en génétique très critique sur les cultures transgéniques, Christian Vélot subit des pressions répétées de sa direction depuis des mois, et son équipe est menacée de dissolution.

Patrick Piro  • 18 octobre 2007 abonné·es

Critiqué dans son travail, sous la menace d’un déménagement forcé de ses locaux, amputé d’une partie de son budget de fonctionnement, congédié fin 2009 à l’échéance du contrat d’hébergement de son équipe de quatre personnes à l’Institut de génétique et microbiologie (IGM) au Centre scientifique d’Orsay (91) : Christian Vélot, maître de conférences en génétique moléculaire, est depuis des mois sous pression, dans le collimateur de la direction de l’IGM. Pour faute professionnelle ? Pour insuffisance de résultats ? Non, il s’agit d’un harcèlement déclenché par ses prises de position sur les risques des plantes transgéniques, estime-t-il, comme en subissent d’autres « lanceurs d’alerte » sanctionnés pour avoir dénoncé, en pionniers, des risques sanitaires, environnementaux, sociaux, etc.

Illustration - Défense d’alerter !

Arrivée à Paris, le 13 octobre, de la marche anti-OGM partie de Chartres le 9.
AYISSI/AFP

Depuis 2002, Christian Vélot intervient lors de conférences, dans les médias et parfois devant les tribunaux, cité comme témoin pour la défense de faucheurs volontaires d’OGM. « Avec des positions très tranchées. Je suis un utilisateur routinier des techniques OGM, pour étudier des micro-organismes en espace confiné. Quand je sais combien sont limitées nos connaissances sur les conséquences biologiques de nos manipulations ­ nous avons des surprises tous les jours ­, j’estime de mon devoir de citoyen de dénoncer l’irresponsabilité absolue de la mise en culture de milliers d’hectares de plantes OGM ! »

Les premières « remontrances » , comme il les qualifie, remontent à décembre dernier, quand la directrice de l’IGM, Monique Bolotin, critique ses interventions parce qu’elles impliqueraient le nom de l’institut, lors d’une réunion dont il est absent. Christian Vélot récuse catégoriquement : « J’ai toujours pris soin de n’intervenir qu’en mon nom propre, me contentant de mentionner ma qualité à m’exprimer, comme c’est courant ! »

Monique Bolotin affirme n’avoir fait ce jour-là qu’un rappel au règlement, « ne visant personne en particulier » . Un témoin rapporte une version beaucoup moins neutre : « Les chercheurs voulaient savoir si des liens, sur le site de l’IGM, pouvaient renvoyer à leurs activités hors institut. La directrice a réagi avec virulence, citant des risques de détournement d’usage inacceptable. En substance, que puissent apparaître des activités dérangeantes, subversives, politiques ou syndicales, etc., ajoutant qu’elle ne voulait pas voir apparaître les positions de Christian Vélot sur les OGM. Quant à prétendre qu’il prendrait position en public au nom de l’institut, c’est une accusation mensongère. »

Suivront des confirmations de cette décision de la direction lors de rencontres en tête-à-tête, mais seulement verbales, souligne Christian Vélot. Et ce qui ressemble à une cascade de brimades s’enclenche. Son équipe se voit privée de 22 000 euros de budget, « une confiscation qui compromet tout notre travail, puisque je n’ai plus de crédit de fonctionnement à partir de 2008 ! » Monique Bolotin se retranche derrière la rigueur administrative : « Il s’agit d’un reliquat non utilisé sur l’exercice 2006, il est repris par le CNRS, notre financeur, comme c’est la pratique. »

Ensuite, c’est une étudiante en thèse, qui avait donné son accord pour rejoindre le laboratoire de Christian Vélot, qui se retrouve in extremis embauchée dans l’équipe de la directrice. En juin, la pression s’accentue : la direction lui demande de changer de locaux, « afin de créer des synergies entre son équipe et d’autres collègues » . Le chercheur refuse ce déménagement, estimant qu’il coûterait trois à quatre mois de retard à ses travaux, alors qu’ils doivent être évalués scientifiquement avant fin 2008. En septembre, la direction menace de déplacer l’équipe manu militari , alors que Jean-Pierre Rousset, directeur-adjoint de l’IGM et futur directeur, annonce à Christian Vélot par courrier que « suite aux discussions sur la politique scientifique de l’institut » , le contrat quadriennal d’hébergement de son équipe ne peut être reconduit en janvier 2010.

« C’est une décision arbitraire, proteste Vélot, je n’ai jamais eu de conversations sur la politique de l’institut… » En janvier dernier, la direction lui avait transmis oralement les conclusions d’un audit scientifique : thématique de recherche sans avenir, car trop fondamentale, « un comble, pour un laboratoire universitaire ! ». Dans le même temps, son étudiant en thèse ­ dont le travail reflète celui du laboratoire ­ a été gratifié d’un rapport flatteur. Un médiateur a mollement tenté de négocier le retour des 22 000 euros et l’ajournement du déménagement. Sans effet… Le fond de l’affaire, estime Christian Vélot, « c’est qu’il est interdit de critiquer la science officielle, parce qu’elle est le progrès. Dans le monde des OGM, quand est « pour », c’est une appréciation scientifique, quand on est « contre », on est partisan » .

Écologie
Temps de lecture : 4 minutes