Le chômage : un secteur de profit

Les syndicats de l’ANPE et de l’Unedic ont appelé à la grève le 18 octobre contre la fusion de ces deux organismes, aboutissement de la libéralisation du service public de l’emploi.

Jean-Baptiste Quiot  • 18 octobre 2007 abonné·es

La fusion ANPE-Unedic ? « Depuis vingt ans, on en parle, mais personne ne la fait » , affirme Nicolas Sarkozy. Pourtant, depuis vingt ans, les gouvernements se sont attaqués au monopole du service public de l’emploi. « La fusion est l’aboutissement d’une logique qui veut transformer le placement des chômeurs en un secteur de profit », explique Marc Moreau, d’Agir ensemble contre le chômage (AC !). Cette « privatisation rampante » , comme la décrit le président du Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP), Jean-François Yon, « est souhaitée par le Medef. La fusion va renforcer son pouvoir, déresponsabiliser les entreprises et accroître la pression sur les chômeurs » . Sous prétexte de « simplifier le parcours du chômeur » , la réforme risque plutôt de lui rendre la vie impossible. Elle a en tout cas provoqué un mouvement de grève des salariés de l’ANPE et de l’Unedic le 18 octobre.

Illustration - Le chômage : un secteur de profit


Nicolas Sarkozy tient à la fusion ANPE-Unedic. AFP

Cette logique s’est construite depuis vingt ans sur deux axes de réforme. Le premier consiste à libéraliser l’activité de placement. Ainsi, en 1986, une ordonnance ouvre une brèche dans le monopole de l’ANPE en autorisant les communes à effectuer des opérations. Mais c’est la loi Borloo de « cohésion sociale » qui met fin au monopole en 2005. À cette occasion, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, qui veut transformer l’ANPE en une « entreprise publique de service » , ratifie la convention 181 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Elle ouvre la voie à la concurrence. La loi Borloo autorise ainsi les opérateurs privés à placer et à accompagner les chômeurs. Par ailleurs, le principe de gratuité du service public est remis en cause. L’ANPE est autorisée à créer des filiales lui permettant de développer des activités payantes. Selon Jean-Pierre Guenaten, délégué national du MNCP, « en 2005, l’expérimentation avec 5 officines privées a été jugée positive, alors que les résultats sont les mêmes qu’avec l’ANPE. Fin 2006, 17 agences privées ont été retenues pour s’occuper de 100 000 chômeurs » . Pourtant, l’ANPE évalue le coût moyen par chômeur à 730 euros quand l’agence s’en occupe, et à 3 500 euros avec les placements privés. « Pour biaiser les chiffres et s’en prendre à l’efficacité de l’ANPE, on réserve les chômeurs faciles à placer aux officines privées. Et on laisse les chômeurs de longue durée, plus difficiles à reclasser, au service public » , explique Jean-François Yon. Plus qu’une victoire idéologique, le véritable but de cette libéralisation est de permettre un meilleur contrôle des entreprises sur la main-d’oeuvre. Comme l’explique Sylvette Uzan-Chomat, sociologue syndiquée au SNU-ANPE : « On revient au commerce de placement du XIXe siècle, quand les placeurs étaient des sous-traitants des entreprises. »

Cette mainmise du patronat est à l’oeuvre dans le deuxième axe de réforme, qui consiste à rapprocher l’ANPE et l’Unedic. La fusion est une aubaine pour le Medef, qui siège à la direction de l’Unedic en position de force puisqu’un protocole d’accord y est conclu dès qu’une organisation d’employeurs et une organisation de salariés se mettent d’accord. La CGT Unedic est opposée à la fusion « parce qu’elle ferait entrer le Medef dans l’organisation des politiques de l’emploi et parce que l’indemnisation doit être déconnectée du placement pour que le nouvel organisme ne soit pas juge et partie » .

Déjà, en 2000, sous le gouvernement Jospin, la réforme du Plan d’accompagnement pour le retour à l’emploi (Pare) avait permis que les Assedic participent au financement de l’ANPE à hauteur de 25 %. La loi de cohésion sociale a enfoncé le clou en permettant que les Assedic participent au contrôle de la recherche d’emploi. Elles peuvent suspendre le versement des allocations. « Il y a un danger de revenir au travail forcé. Le Medef a tout fait pour que les Assedic participent aux contrôles, aux sanctions et au choix des formations. Avec la fusion, les entreprises auront un pouvoir direct sur l’ANPE et les demandeurs d’emploi » , explique Marc Moreau.

Contrairement à ce que dit Nicolas Sarkozy, la fusion ne va pas « mettre les chômeurs au centre du système » , mais plutôt « faire reposer, par une polyvalence et une mobilité imposées, toute la responsabilité sur le chômeur » , explique Sylvette Uzan-Chomat. Ainsi, la réforme prévoit de supprimer les allocations au deuxième refus d’une offre dite « valable ». Jean-François Yon redoute « qu’on oblige les chômeurs à accepter des emplois précaires » . Pour la ministre de l’Emploi, Christine Lagarde, l’objectif est de ramener à 5 % le taux de chômage d’ici à la fin du quinquennat. C’est possible, au vu du nombre de radiations. AC ! estime qu’en 2006 « 462 100 décisions de radiation ont été prises sur l’année, soit 38 508 en moyenne mensuelle. Bien que le nombre officiel de chômeurs baisse, ces chiffres sont deux fois plus élevés qu’en 2001, plus de cinq fois supérieurs à ceux de 1996 » .

Pénaliser les chômeurs et déresponsabiliser les entreprises : voilà la véritable fusion que veut opérer la réforme. Une déresponsabilisation que le Medef veut pousser jusqu’au bout en proposant de créer « un nouveau dispositif de prise en charge élargie » du chômage, qui confierait à l’État l’indemnisation de base de tous les chômeurs. Ou comment passer de l’aide aux chômeurs à l’aide aux entreprises.

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