Le pays qui met Pékin en difficulté

La communauté internationale compte sur les rapports privilégiés de la Chine avec la Birmanie pour exercer des pressions sur la junte. Histoire d’une relation atypique.

Gülay Erdogan  • 4 octobre 2007 abonné·es

En quarante-cinq ans de dictature en Birmanie, ce qui domine c’est la fermeture du pays aux influences étrangères et à toute forme d’intervention internationale. Mais l’un de ses voisins, la Chine, a réussi à créer de très bons rapports avec le régime de Rangoun depuis de nombreuses années. D’où vient cette relation privilégiée avec un régime qui, contrairement au Vietnam, au Cambodge et au Laos, n’appartient pas à la sphère idéologique de Pékin?

Illustration - Le pays qui met Pékin en difficulté

En soutien aux Birmans, à Londres, le 28 septembre.
GILLON/GETTY IMAGES/AFP

Ne Win, le général auteur du coup d’État de 1962, refuse d’abord, à son arrivée au pouvoir, de s’allier au gouvernement de Pékin, accusant celui-ci de soutenir les communistes birmans qui, d’après le dictateur, constituaient une grande menace pour le pays. Mais les choses changent après une visite de Ne Win chez son voisin en 1971, et plusieurs accords sont signés. Ils ont toujours été appliqués par la suite avec les généraux qui ont remplacé Ne Win en 1988. Chine communiste et junte birmane anticommuniste : pourquoi cette drôle d’alliance ? Et sur quelles bases ? « L’alliance entre la Chine et l’autorité birmane ne se définit pas du tout comme idéologique ou même politique, elle est avant tout économique et militaire » , souligne Achraf Sebbahi, de l’association Info-Birmanie.

Pour les Chinois, la Birmanie pèse quatre milliards de dollars de commerce extérieur. La Chine y est l’un des premiers investisseurs. Le sol birman est un gros pourvoyeur de matières premières, notamment de gaz, de pétrole et de bois pour son voisin en pleine expansion économique. En effet, si la Chine, où vit un cinquième de la population mondiale, est l’un des premiers exportateurs de bois dans le monde, c’est avant tout grâce à la matière première fournie par Rangoun, depuis son propre sol. La forêt chinoise est ainsi préservée, en vertu d’une interdiction de couper le bois pour le commercialiser, en vigueur depuis 1988. Pour les autres matières énergétiques, Pékin déploie tous ses efforts pour ne pas perdre le marché face à des concurrents comme l’Inde, deuxième gros investisseur du marché birman. L’un des fleurons de cette coopération est une autoroute qui longe la rivière d’Irrawady, traverse la Birmanie, offrant à la Chine un débouché sur le golfe du Bengale, et, plus loin, une ouverture sur l’océan Indien et le Moyen-Orient. L’enjeu est la maîtrise des importations de gaz et de pétrole.

Mais Pékin n’est pas seulement acheteur, il est aussi le principal fournisseur en armements des dictateurs birmans. Cela représente un énorme chiffre d’affaires : avec 500 000 militaires, forte déjà de l’une des plus grandes armées du monde, la junte investit en outre 80 % de son budget pour s’armer. On comprend dès lors que ces intérêts croisés incitent le gouvernement chinois à ne pas retirer son soutien à la dictature. En janvier dernier, la Chine utilisait son droit de veto à l’ONU contre des sanctions prises à l’encontre de la Birmanie. C’est ce soutien qui a placé la Chine en première ligne dans la crise birmane. « La Chine n’a plus d’alternatives, elle n’utilisera pas son droit de veto cette fois-ci, car son utilisation une nouvelle fois la mettrait en grande difficulté face à la communauté internationale, notamment dans la perspective des Jeux olympiques à Pékin » , analyse Achraf Sebbahi. C’est ce qui explique que Pékin ait sans doute incité la junte à une certaine «modération», ou plus exactement, à une répression nocturne. Des arrestations plutôt que des tirs sur la foule… C’est surtout la junte que Pékin a ainsi sauvée.

Toutefois, Pékin peut aussi s’inquiéter d’avoir été contraint par la communauté internationale d’intervenir, fût-ce diplomatiquement. Le précédent pourrait s’étendre à d’autres pays comme le Soudan. Côté « communauté internationale », il faut se garder de tout angélisme. La pression exercée pour une démocratisation de l’autorité birmane est aussi un acte politique pour l’ouverture au marché d’une chasse gardée de la Chine.

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