Les militants du vivant

A travers ses portraits de « Paysans », un couple engagé dans la défense d’une production et d’une gastronomie responsables partage son tour de France de l’agriculture durable.

Politis.fr  et  Samuel Le Houx  • 19 octobre 2007
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« Après ce voyage, nous savions que plus rien ne serait comme avant. » Ces paroles de Frédéric Gana résument toute l’intensité du périple d’un homme passionné et de sa femme, Tifenn Hervouët. Leur tour de France des producteurs « pour une agriculture durable et une alimentation responsable » effectué de mars à septembre 2005 aura été pour eux une expérience humaine inouïe. Poussés par le constat très négatif de l’uniformisation de l’agriculture et de l’alimentation, ils avaient décidé de partir en amont de la chaîne alimentaire, vers une agriculture « belle » et naturelle (voir Politis n° 838). Les voilà donc partis pour un long voyage, au volant de leur camion, laissant derrière eux leur existence citadine de banlieusards parisiens.

Sur la route, ils prennent le temps de partager le quotidien et l’expérience de 80 producteurs « responsables ». Cette aventure pleine de richesses et de découvertes, le couple la transmet comme un témoignage dans un bel ouvrage sorti récemment [^2]. À l’appui d’un reportage photo saisissant réalisé par l’auteur lui-même, photographe autodidacte, ils brossent avec finesse 25 portraits de « hérauts de l’agriculture durable » . Si les secteurs de production sont très diversifiés, l’ouvrage offre un ensemble cohérent de portraits uniques, imprégnés d’humanisme, avec ce dénominateur commun du respect de la terre.

Gilles Bernier, paludier à Guérande, a « claqué la porte » de la ville et a répondu à « l’appel de la terre » en s’installant dans un marais salant. Le développement de son projet ne s’est pas fait sans mal, notamment face au quasi-monopole de la grande coopérative des paludiers de Guérande. Mais à force d’efforts et de temps, la volonté du paludier d’exercer une pratique naturelle l’a amené à collaborer avec le vent, le soleil, l’eau, la vase, « devenus compagnons de la vie de Gilles » . Le couple a également fait étape chez Anne-Marie Lavaysse, vigneronne dans l’Hérault. Le portrait est simple et naturel, à l’image de la façon de produire de cette femme engagée. Elle suit son intuition, reste « à l’écoute » de ses vignes, et emploie « la nature au service de la nature » dans un ensemble harmonieux de vignoble, verger et potager. Les portraits de certains producteurs gastronomes donnent l’ « eau à la bouche » [^3], comme cet « alchimiste jardinier » , Gérard Verret, qui propose des sirops de foin, fleurs de courgettes farcies et autres omelettes à la fleur d’onacre. Sans oublier ce producteur de fruits et confiturier travaillant selon sa devise « sitôt récolté, sitôt transformé » , qui propose ses recettes de rhubarbe aux fleurs d’acacia ou son melon à la menthe poivrée.

Certains portraits interpellent d’une façon particulière lorsqu’il s’agit d’anciens producteurs « intensifs » reconvertis dans une pratique agricole plus responsable et mesurée. « Les témoignages des anciens productivistes sont les témoignages les plus touchants » , confirme Frédéric Gana. Le couple raconte notamment leur passage chez Hubert et Maryvone Coupart, qui, après 25 ans de pratique productiviste et la crise de la vache folle, ont opté pour un système agricole plus économe. Le livre relate cette « profonde métamorphose » , la difficulté de faire « demi-tour » et de se remettre en cause, contre la tendance générale et l’attitude des pairs.

Ces portraits pleins de richesses humaines et ces lieux magnifiques « logiquement » naturels ne donnent pas pour autant l’impression d’un angélisme coupé de la réalité. Les paysans rencontrés sont aussi des résistants de la terre travaillant souvent très dur, « de l’aube jusqu’au coucher du soleil » , mais dans la dignité. Frédéric Gana les qualifie de « militants du vivant » , qui préservent la biodiversité, diffusent leur pratique et « ensemencent les campagnes » d’un savoir-faire responsable en perdition. Tous déclinent et cultivent, à leur manière, l’authenticité et la beauté du savoir-être paysan. Face à une agriculture qui perd son sens et se « déconnecte du vivant » , certains agriculteurs préservent une éthique de travail naturelle « en restant en contact avec la vie » . Une façon de militer et de vivre qui aura définitivement conquis le couple. Peu après leur périple, ils décident de s’installer chez une des personnes rencontrées, Raphaëlle de Seilhac, qui a ouvert son domaine à des porteurs de projets. Une nouvelle aventure commence donc pour eux, « sédentaire et terrienne » cette fois. Après avoir planté quelques arbres fruitiers chez elle lors de leur premier passage, ils ont souhaité les voir grandir. Tout simplement.

[^2]: Paysans, un tour de France de l’agriculture durable, Frédéric Gana et Tifenn Hervouët, Transboréal, 127 p., 20 €

[^3]: Tifenn Hervouët a fondé une association en 2001 pour promouvoir une gastronomie responsable : www.loalabouche.org

Temps de lecture : 4 minutes
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