Un monde sans chômeurs !

Vincent Priollet a été conseiller dans une agence de l’ANPE à Auxerre. Il relate comment s’opèrent les radiations massives.

Vincent Priollet  • 18 octobre 2007 abonné·es

Le discours officiel des cadres de l’ANPE est bien rodé : « Les radiations de chômeurs pour refus d’emploi sont très peu nombreuses. » Ils ont raison : la majeure partie des radiations sont le fait d’une absence à un rendez-vous. Une aubaine pour faire baisser les chiffres… L’arrivée en 2006 du suivi mensuel (obligation de voir une fois par mois son conseiller référent) a multiplié ces absences. Difficulté à se déplacer, lassitude du harcèlement administratif, empêchement ou simple oubli, les occasions ne manquent pas de se retrouver en faute.

En fait, toute absence à un rendez-vous doit être justifiée. C’est ensuite au directeur d’agence de décider de la valeur de l’excuse. Si le demandeur d’emploi n’a pas donné une bonne raison (c’est quoi, une bonne raison ?), un avertissement avant radiation lui est envoyé. Si les explications ne sont toujours pas jugées recevables, il reçoit sa radiation. Un entretien d’embauche sans justificatif ? Une confusion de dates ? Un problème familial ? Autant d’excuses qui ne passent pas. Quelle que soit sa bonne foi, le chômeur ne pourra plus contester la décision qu’auprès de la direction départementale de l’ANPE et, en dernier recours, auprès du tribunal administratif. À partir de là, le système peut s’emballer, pour peu que le directeur d’agence soit zélé.

Prenez une période de vacances. Décidez qu’au lieu de l’entretien mensuel individuel, on va convier en masse les demandeurs d’emploi âgés de 16 à 30 ans à une réunion d’information sur les contrats en alternance. Il va de soi qu’on n’aura pas pris le temps de bien cibler la proposition et qu’on convoquera aussi des personnes qui recherchent des postes ne donnant pas lieu à ce type de contrat. Bref, envoyez-leur à tous une convocation dix jours avant la réunion. Avec un peu de chance, en cette période de vacances, vous en aurez un certain nombre en vadrouille, qui auront oublié de signaler toute absence de plus de huit jours à l’Assedic. Ajoutez-y la proportion habituelle d’oublieux, empêchés, peu mobiles ou pas concernés… Et la vague des avis avant radiation se forme et s’abat sur la foule ahurie. Bientôt suivie par une déferlante de radiations temporaires, souvent pour une période de deux mois.

Cela se passe dans la vraie vie, dans une agence locale de l’ANPE, où certaines de ces opérations ont généré plus de 60 % d’absences. Ici, comme dans la majorité des agences, la machine à broyer est en marche : le nombre de chômeurs va baisser, c’est sûr. Et ce n’est pas la fusion avec l’Unedic qui va arranger les choses : les financeurs de l’allocation chômage ont bien sûr intérêt à multiplier les radiations. La chasse au chômeur ne fait que commencer.

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