La bataille de l’opinion

À la veille de la mobilisation du 22, les étudiants en grève
à l’université de Tolbiac soignent leur communication à l’intérieur et à l’extérieur de luniversité.

Marjolaine Normier  • 22 novembre 2007 abonné·es

« La mobilisation s’étend, mais le mouvement est moins radical » , résume Marie durant le comité de grève réuni le 19 novembre à l’université de Tolbiac. Cette étudiante a été mandatée la semaine passée pour représenter l’assemblée générale (AG) de cette université à la réunion de la coordination, les 17 et 18 novembre, à Tours. Au sortir de l’amphithéâtre, elle refusera d’en dire plus sur les débats du week-end. « Il faut aller voir celui qui a le mandat national », précisera-t-elle. Les étudiants en grève cet automne tentent, au-delà de la protestation contre la loi relative aux libertés et à la responsabilité des universités (LRU), de maîtriser leur communication. Syndiqués ou non, ils tiennent à s’inscrire dans une démarche de démocratie participative. Pas facile à respecter au moment de monter au front. Solidaires des cheminots et des fonctionnaires qui manifesteront le 20 novembre, et qu’ils rejoindront dans les rues, les étudiants appellent à une grande mobilisation nationale le 22, et invitent les lycéens à venir grossir leurs rangs.

À Tolbiac, en cette veille de manifestation, chacun tente de préciser les modalités de l’action. « Alors que les mouvements étudiants ont généralement une bonne image auprès des citoyens, les médias nous sapent ! », dénonce quelqu’un . Ils sont plusieurs à vouloir « aller directement à la rencontre de la population » . Pour leur expliquer : qu’ils ne sont pas en guerre uniquement contre la loi LRU, qu’ils craignent la direction néolibérale prise par l’université, et que leurs revendications rejoignent celles des autres grévistes. « C’est un combat contre un projet de société » , résume Michel, étudiant en charge de la commission médias de l’AG et syndiqué à SUD.

Tractages, « balades » en dehors des manifestations sont envisagés pour obtenir une meilleure visibilité dans l’espace public. À l’intérieur de l’université, il faut faire vivre le mouvement. Plusieurs invitent à organiser des animations, des projections, des « bouffes ». On propose une collecte pour un barbecue. Un bonnet circule dans l’assemblée. Le blocage ne doit pas entraîner la désertion de la fac. Si la question est conflictuelle, les militants s’appliquent à maintenir les conditions d’un débat. Pour que le « mouvement fasse tâche d’huile » , on parle d’aller voir ce qui se passe dans les autres universités « en difficulté » et de la nécessité d’informer les lycéens. On réfléchit aux moyens d’aller donner un coup de main « sur le terrain ».

Les informations circulent principalement via portables et blogs. Le désir de court-circuiter les relais traditionnels s’exprime par le recours aux nouvelles technologies. Comme lors des mobilisations anti-CPE de 2006, la coordination du mouvement se fait sur la toile, avec la création de blogs militants, lieux d’échange d’infos, de reportages, d’interviews. Des images filmées pendant les actions ici ou là circulent à tout va. Maîtriser dedans, maîtriser dehors : la communication vers l’extérieur est l’objet de nombreuses inquiétudes. Comment prévenir les dérapages médiatiques et préserver une éthique politique ? La question des mandats, abordée en comité de grève, est déterminante pour Michel. Les étudiants prennent soin d’élire, parmi des volontaires, des porte-parole « sous mandats impératifs », rien d’autre ne sera dit que ce qui ressort des propositions votées en AG. On change donc de délégation chaque semaine. « Tolbiac n’a pas à imposer ce mode de fonctionnement aux autres facs, reconnaît Michel *, mais cette question est essentielle. »* Le débat sur la notion de mandat au sein du mouvement étudiant est la résurgence d’une vieille réflexion sur la représentativité des AG. Devant l’amphithéâtre, des délégués de Paris-VII (Jussieu), attendent le rendez-vous fixé ensuite par la Coordination francilienne : « On a soulevé le problème des mandats à la fin de la dernière AG, mais ce n’est pas encore la priorité. » La mobilisation s’est mise en place trop tardivement. Pour l’instant, c’est l’action qui prime.

N’en déplaise à Nicolas Beytout, directeur de la rédaction du Figaro , qui a réduit l’action des étudiants grévistes « au malaise de ceux qui ont choisi psycho-socio et qui bloquent à 50 les facs » , tous ces débats révèlent un mouvement multiforme. Qui tient à sa diversité, refuse les étiquettes et fait montre d’une sincère volonté de participer au combat collectif.

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