La police en question

Le drame de Villiers-le-Bel témoigne une fois encore, selon le sociologue Laurent Mucchieli, de relations déplorables entre les jeunes et la police.

Olivier Doubre  • 29 novembre 2007 abonné·es

Villiers-le-Bel (Val-d’Oise), dimanche 25 novembre, la mort de deux jeunes déclenche une longue soirée d’émeutes particulièrement violentes. Moushin et Larami, respectivement âgés de 15 et 16 ans, roulaient en fin d’après-midi sur une de ces mini-motos souvent décriées pour leur dangerosité et leur nuisance sonore. Ils heurtent soudain de plein fouet une voiture de police. D’une extrême violence, le choc les tue sur le coup.

La cité de « la Tolinette » à Villiers-le-Bel, où s’est produit l’accident et où habitaient les deux jeunes, est classée en « zone urbaine sensible », et les rapports des habitants avec la police y sont, comme dans nombre de ces quartiers, souvent tendus. Aussi, les policiers, dont la voiture a été mise hors d’usage par l’accident, sont rapidement pris à partie par les jeunes (et les moins jeunes), des riverains qui se sont regroupés sur le lieu du drame. Alors qu’arrivés sur place des pompiers pratiquent des massages cardiaques aux deux victimes, les policiers auraient été récupérés par leurs collègues d’une autre patrouille, avant de quitter rapidement les lieux. Avec une tension déjà palpable entre les jeunes et les forces de l’ordre, ce départ précipité des fonctionnaires impliqués dans l’accident a sans doute contribué à faire dégénérer la situation…

Pendant plus de six heures, des groupes incendient des poubelles et des voitures, et se déplacent rapidement en plusieurs endroits de la ville et des communes voisines, rendant difficile l’intervention des CRS et des brigades anti-criminalité appelés en renfort en grand nombre. Le bilan de ces émeutes est lourd : véhicules brûlés, commerces dégradés (pour certains pillés), les postes de police de Villiers-le-Bel et d’Arnouville saccagés. Surtout, un commissaire qui tentait de calmer les jeunes a été frappé à coups de barres de fer et hospitalisé. On compte aussi un pompier et 25 policiers blessés, dont deux par des tirs de grenaille et de plomb.

Deux ans après les émeutes urbaines de novembre 2005, on peut évidemment craindre que d’autres cités s’embrasent maintenant au moindre incident. Contrairement aux parlementaires UMP qui, pour seule réaction, ont réitéré leur demande d’une législation plus stricte concernant les mini-motos « afin d’empêcher leur multiplication sur la voie publique » , la ministre de l’Intérieur ne semblait pas vouloir faire monter la tension, ni stigmatiser les jeunes des cités sensibles. S’étant rendue lundi à Villiers-le-Bel rencontrer le maire (PS), Didier Vaillant, Michèle Alliot-Marie a en effet déploré la mort des jeunes et déclaré « penser aux familles, à leurs amis et à la population » . Elle a aussi demandé à ce « qu’on connaisse avec précision et sans contestation ce qui [s’était] passé » .

Ces déclarations donnent une indication sur la ligne choisie par le gouvernement. Pour le sociologue Laurent Mucchieli [^2], auteur de plusieurs livres sur les violences urbaines, si, à chaque fois, la mort d’un ou plusieurs jeunes liée à une opération de police (ou simplement à sa présence) est toujours le « facteur déclenchant » d’une émeute, l’embrasement de novembre 2005 a été dû à « deux facteurs » : un « terrain préparatoire » (les propos de Nicolas Sarkozy à Argenteuil sur la « racaille » ) et une « gestion de crise désastreuse » (son refus de présenter ses condoléances aux familles, la négation de toute responsabilité de la police ou le fait qu’il laisse entendre que les jeunes décédés étaient sans doute des délinquants)…

Aujourd’hui, « le ministère de l’Intérieur ne semble pas prendre cette voie. Mais tout dépendra aussi de l’attitude de la municipalité dans les jours qui viennent, par exemple si elle organise une grande marche pacifique… » Dans ce cas, il y a de fortes chances pour que les incidents de Villiers-le-Bel se limitent à un niveau local. « Toutefois , conclut Laurent Mucchieli, rien n’a vraiment changé depuis novembre 2005. Or, le problème central, bien plus que les politiques de la ville, ce sont toujours les relations déplorables entre les jeunes et la police. Le fait qu’on dise que des policiers, au milieu d’une cité, se seraient enfuis au lieu d’aller porter secours, sans doute par peur, cela signifie quelque chose. Tout comme, en 2005, le fait que deux jeunes de 15 ans qui rentrent d’un match de foot se mettent à courir lorsqu’ils voient des policiers… »

[^2]: Lire notamment, Quand les banlieues brûlent… Retour sur les émeutes de novembre 2005, Laurent Mucchieli et Véronique Le Goaziou, La Découverte, mars 2007.

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