Le sens de sa mort

Guiseppe Tommasi reprend sa vie en main devant la caméra de Mehdi Sahebi, qui a filmé ses derniers mois d’existence dans « le Temps des adieux ».

Christophe Kantcheff  • 1 novembre 2007 abonné·es

Guiseppe Tommasi ressemble à une vieille star du rock déchue. On devine qu’il eut belle allure ­ d’anciennes photos en attestent ­ mais, sous sa longue chevelure noire qui commence à grisonner, un corps se délite. À 44 ans, Guiseppe Tommasi est junkie, malade du sida et cancéreux. À Zurich, Mehdi Sahebi a filmé les neuf derniers mois de sa vie, jusqu’à son dernier souffle à l’hôpital, sa mise en bière et son incinération.

L’histoire de Guiseppe Tommasi, qu’il résume en quelques phrases, situe un contexte social. Parce que ses parents n’étaient pas assez riches pour assurer les normes d’hygiène requises dans leur domicile, il fut placé très jeune dans une famille d’adoption qui ne l’a pas aimé. Quand ses parents ont pu le récupérer, « son coeur était déjà mort » , dit-il. Plus tard, il eut deux enfants, fit un mariage raté, et la drogue finit par l’entraîner vers le fond.

Mais, quand il croise la caméra de Mehdi Sahebi, Guiseppe Tommasi est avancé sur l’analyse psychologique qu’il fait de son drame. Il a compris avoir été son principal ennemi, en se mettant lui-même dans la situation du dominé, par rapport aux autres ou à la drogue. C’est pourquoi, se sachant condamné, Guiseppe Tommasi accepte avec enthousiasme le principe de ce film. L’occasion ultime pour lui de reprendre la main sur sa vie.

D’où un mouvement contradictoire, au fur et à mesure que le film avance : Guiseppe souffre toujours plus physiquement, alors qu’il parvient à une certaine sérénité existentielle. Il échange des mots d’amour apaisants avec ses deux enfants désormais adolescents. Sa fille lui rappelle qu’il a failli se suicider devant elle. Mais le temps est à la réconciliation. La tendresse est forte, et la porte se ferme même à la caméra pour garder ces moments d’intimité. Guiseppe Tommasi retrouve aussi une image digne de lui-même : il décide de mourir en tant que « père » ou « citoyen malade » , certainement pas en « junkie » .

Reste ce qui devient peu à peu insupportable : la souffrance du corps. Malgré les multiples examens et traitements qu’il subit à l’hôpital (qui ne sont là que pour le soulager), Guiseppe Tommasi décline. Il se dit dur à la douleur mais ne parle jamais de son courage. Il est pourtant héroïque. Son corps mutilé et gangrené le met sau supplice ; il continue ses confessions sans plainte. Par une ultime ironie du sort, les drogues médicamenteuses sont devenues ses alliées, qui lui offrent quelque répit. Mais la fin approche. Elle sera filmée par Mehdi Sahebi. Entouré de deux infirmières qui l’ont pris dans leurs bras, Guiseppe rend son dernier souffle alors qu’il est groggy par la morphine. Les deux femmes pleurent et, rattrapées par le travail quotidien, elles ont aussi un éclat de rire nerveux. Le moment est à la fois terrible et simple. Comme le film lui-même, qui montre le tragique de la condition humaine dans ce qu’il a de plus banal et de plus universel. La mort, que nos sociétés préfèrent escamoter, sans laquelle pourtant il est vide de sens de parler de la vie.

Culture
Temps de lecture : 3 minutes