Made in Ramallah

Le trio Joubran, qui vient de sortir un album et entame une tournée française, popularise une jeune musique palestinienne qui a pourtant
du mal à passer les frontières.

Éric Tandy  • 15 novembre 2007 abonné·es

Passer tous les matins un check-point pour aller travailler son disque, ce n’est pas forcément négatif, cela peut même aider à composer. Mais, pour cette fois-ci, nous avions un grand besoin de quiétude.~» Samir Joubran explique pourquoi le trio qu’il forme avec ses frères depuis 2004 a préféré travailler Majâz (qui se traduit par «~Métaphore~»), son dernier album, à Paris plutôt que dans un studio d’enregistrements de sa Palestine natale. Le musicien, qui vante pourtant la qualité des infrastructures musicales de certaines villes des territoires occupés ( « des endroits bien équipés techniquement, où l’on peut faire de la musique pendant des heures sans que personne ne vous présente de facture » ) voulait, à l’image de ce CD riche en moments aériens, offrir à l’auditeur quelque chose de pacifié, de «~réfléchi~» . Le trio Joubran, c’est Wissam, Adnan et Samir~; tous joueurs de oud (le luth oriental), tous nés à Nazareth et tous très populaires dans l’ensemble du monde arabe.

Samir se définit comme un musicien venant de Palestine plutôt que comme un musicien palestinien. On est d’ailleurs un peu surpris quand il raconte que l’une de ses premières passions musicales s’appelait… Elvis Presley (par la suite il a aussi beaucoup écouté John McLaughlin, Al Di Meola et d’autres guitaristes de jazz contemporains). Depuis longtemps, il se démène pour que la musique née et jouée en Palestine soit connue et entendue par le plus grand nombre. En 1996, déjà, il autoproduisait entièrement un album solo~: « J’ai été le premier Palestinien à m’autoproduire. J’ai tout fait sur ce disque, aussi bien jouer des instruments que prendre les photos et bricoler la pochette. C’était vraiment une première, car jusqu’ici, chez nous, seules les maisons de production israéliennes sortaient des enregistrements, qui excluaient évidemment notre musique.~» Une tentative qui était bien plus qu’une simple manière de se mettre en avant personnellement et artistiquement. Le but étant de réinvestir les bénéfices espérés dans les enregistrements d’autres musiciens de Jérusalem, de Ramallah ou d’ailleurs.

Une démarche forcément liée à une situation politique et militaire aussi pesante qu’effrayante. Mais, aussi, une façon de démontrer que l’occupation, les bombardements ou les guerres entre factions rivales n’empêchaient pas les moyens d’expression d’exister, que ceux-ci pouvaient aussi s’éloigner de leur base traditionnelle : « Quand une nation perd la plupart des choses qui lui sont essentielles , dit Samir, le simple fait d’affirmer que sa musique lui appartient toujours et qu’elle continue malgré tout d’évoluer, prend forcément des allures de combat. »

Celui qui a été le premier musicien palestinien de nationalité israélienne à aller étudier au Conservatoire du Caire tient en effet à équilibrer ses racines musicales avec d’autres inspirations, plus modernes. Une envie qui, à l’entendre, est aujourd’hui reprise par d’autres~: « Actuellement, à Ramallah, par exemple, il existe une vraie scène musicale, importante, vivace. De nombreux jeunes font des choses très intéressantes, ils n’oublient pas leur patrimoine, tout en étant très ouverts sur le reste. Le problème, c’est qu’il n’existe aucune maison de disques pour les enregistrer et pour les diffuser ailleurs. Alors, les musiciens se contentent presque de jouer entre eux. Il n’y a pas forcément un manque d’argent, car les sponsors peuvent exister, mais seulement un manque crucial de perspectives extérieures. »

Les disques du trio, qui sortent désormais sur le propre label de Samir, sont, eux, heureusement trouvables un peu partout dans le monde. Les frères Joubran donnent des concerts aussi bien dans les pays européens qu’aux États-Unis. Mais leur énorme frustration, qui s’apparente évidemment à un drame personnel profond vient du fait qu’ils n’ont pas le droit de se produire au Liban, en Algérie, en Syrie ou dans d’autres pays arabes, leurs passeports israéliens les empêchant d’y séjourner. Une situation aberrante qui dépasse, bien sûr, le simple désir contrarié de ne pas pouvoir jouer devant un public proche culturellement et qui apprécie déjà leurs enregistrements.

Musicien venant de Palestine, Samir Joubran tient pourtant à continuer de faire des disques «~débarrassés de trop de tension~» , et cela même s’il se retrouve trop souvent confronté à des situations révoltantes~: «~Vous savez, ça me paraît toujours étrange, quand je rentre d’une tournée et qu’à l’aéroport le douanier qui regarde mon passeport me dit : « Shalom. » Ce n’est tout simplement pas ma langue, ni ma religion, ni mon histoire~: mais c’est pourtant mon passeport… »

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