« Un marketing équitable »

Antoine Pillet* publie un ouvrage où il montre comment les entreprises peuvent pratiquer un marketing « social, alternatif et solidaire » (SAS). Sans perdre leur âme.

Philippe Chibani-Jacquot  • 15 novembre 2007 abonné·es

Votre objectif est-il de définir un marketing spécifique ou de réhabiliter le concept même de marketing ?

Antoine Pillet : Les deux à la fois. J’ai travaillé dans des domaines très différents. J’ai commencé dans les produits de grande consommation chez Unilever. Et puis je me suis occupé de produits industriels (Sandoz, Bayer), de vêtements (Lacoste, Rodier), etc. Les facteurs qui entrent en jeu dans la décision du consommateur et dans la méthode de marketing n’ont rien à voir d’un secteur à l’autre. Dans le secteur social et solidaire, j’ai cherché les caractéristiques d’un marketing cohérent avec ses valeurs.

Pourquoi inventer le terme « marketing SAS » ? Est-ce parce que le marketing est encore largement tabou ?

C’est une violence volontaire. Quel était le risque ? Prenons l’exemple de Max Havelaar : sous prétexte de faire du marketing, ses membres utilisent des recettes traditionnelles : la publicité et la promotion en magasin. Par manque d’expérience, mais aussi par manque de connaissance des règles propres à ce marketing, ils adoptent ses pratiques courantes. En parlant de marketing SAS, je recycle le marketing. Les entreprises dont je parle ont en commun les critères social, alternatif et solidaire. C’est autour de ces caractéristiques qu’on doit trouver une traduction en termes de communication, de distribution, de positionnement, de ce qu’est la spécificité de notre marché.

Comment définir ce marketing ?

C’est un marketing de spécialité. Quelqu’un qui raisonne en SAS se préoccupe du développement humain, des compétences psychosociales des gens avec qui il travaille. C’est un marketing où l’humain prime sur l’argent. Je ne gagne pas beaucoup d’argent, mais je me fais beaucoup d’amis ; dans tous les domaines, j’ai besoin de personnes ressources. Ce doit être un marketing équitable, indépendamment du commerce équitable. Les clients de ce secteur veulent vivre convenablement, mais le produit ne doit pas leur coûter trop cher, et il faut qu’il justifie en lui-même un prix somme toute normal.

C’est un marketing de la coopération. On crée les liens qui permettent soit de mettre des moyens en commun, soit d’échanger des savoirs, soit de créer de véritables ensembles, comme, par exemple, les Jardins de cocagne. Il y en a 80 en France, et chacun travaille avec les autres, échange tout en gardant son autonomie.

On rencontre également une volonté de développement progressif. Je constate qu’au fur et à mesure de leur vie les entreprises que j’ai observées pour ce livre ont développé une forte capacité de résilience en étant de plus en plus solidaires et alternatives. Leurs dirigeants prennent de l’assurance, comme la responsable d’Ardelaine, qui affirme : « Je suis un agent de développement local. » Dans un village de 500 habitants des Cévennes, elle a relancé la filière laine. Ensuite, elle a créé un musée de la laine, qui reçoit 25 000 visiteurs chaque été. Ce qui génère l’ouverture de chambres d’hôtes et des emplois dans un pays magnifique où les gens ont envie de rester.

Le marketing traditionnel est d’autant plus efficace qu’il bénéficie de gros financements. Qu’en est-il du marketing SAS ?

Ses moyens sont réduits. Ce qui pose deux problèmes : il faut vivre avec peu de moyens (on en revient à la coopération et à la mutualisation, qui sont primordiales) et, comme tous les marchés, celui des produits SAS suivra une courbe en S. On est au début du S. Quand la courbe grimpera, que le marché s’élargira, tous les gens qui s’intéressent à l’économie solidaire devront développer autant d’ambitions que les grosses entreprises qui sont sur le marché. Le commerce équitable rassemblait au départ quelques militants autour d’Artisans du monde et d’Andines, qui faisaient un petit artisanat solidaire. Et puis est arrivée la labellisation. Un label, c’est déjà mutualiser une marque, ce peut être une grande idée si c’est bien fait. Mais les grandes surfaces concentrent 90 % des achats alimentaires en France. Si elles sont incontournables, il faut, au préalable, définir la méthode qui permettra de défendre la notoriété des produits solidaires et leur place, en les protégeant de tous ceux qui voudront les récupérer. La récupération est le risque perpétuel de tout marché, quel que soit le produit et pas seulement dans le cas du café équitable, qui représente 3 % de parts de marché.

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