Enfants de Don Quichotte : Aux tentes citoyens !

Mission accomplie pour les Don Quichotte. Si le nouveau campement lancé à Paris n’a pas tenu, le gouvernement a été contraint au dialogue. Et à l’annonce de solutions d’urgence. Analyse d’Ingrid Merckx pour Politis.fr.

Ingrid Merckx  et  Politis.fr  • 17 décembre 2007 abonné·es

Installer un nouveau campement au cœur de Paris en signe de solidarité avec les sans-abri ? Ils l’avaient annoncé, ils l’ont fait. Le 15 décembre au matin, un an après l’action du canal Saint-Martin, les Enfants de Don Quichotte ont monté des tentes au pied de Notre-Dame , bravant la ministre du logement, qui avait menacé la veille, en signant un protocole concernant les mal logés de la rue de la Banque : « l’Etat ne renouvellera en aucun cas un accord de ce type si de nouveaux campements urbains sont organisés. » Suivez son regard… Dans la soirée, alors qu’elle se rendait sur le terrain pour le lancement du plan grand froid, Christine Boutin avait encore prévenu : « S’ils remontent des tentes, on les fera enlever » . En effet. Les quelque 200 tentes rouges installées par les Don Quichotte au pied de Notre Dame n’ont pas tenu plus de deux heures. Forcément. Les forces de polices étaient là en nombre, prêtes à l’affrontement. Pas peu fiers d’avoir réussi à monter le campement au nez et à la barbe des autorités, les Don Quichotte ont tenté de parer à tout embrasement : « « Répartissez-vous au bord de l’eau, ne répondez pas aux violences policières, au cas où, rentrez dans les tentes », organisait à l’aide d’un mégaphone, Augustin Legrand, porte-parole de l’association. Les amis là-bas, si quelque chose bouge, faites-nous signe… » À l’extrémité du campement, la police a chargé. Martin Choutet des Don Quichotte est tombé à l’eau. Récupéré par la brigade fluviale, il a été séparé des manifestants avec Jean-Baptiste Legrand. Puis les policiers ont continué à avancer sur le quai, rouleau compresseur comprimant l’installation sous les yeux des passants massés sur le pont. Expulsions manu militari, tentes cisaillées et emportées. Pauvres trophées.

« Nous n’allons pas rentrer à deux cents dans deux tentes. Il y a un moment où il faut comprendre la symbolique » , s’est agacé Augustin Legrand, un peu plus tard, devant Notre-Dame. Quelques officiers venaient de se jeter rageusement sur les deux toiles posées au milieu des manifestants arborant un t-shirt Don Quichotte. Toit provisoire ou symbole de résistance, personne ne pense que les tentes sont une solution. Mais un dernier recours, n’ont cessé d’expliquer les Don Quichotte tout l’après midi durant, multipliant, très pédagos, les points d’info sur le parvis de la cathédrale. Et appelant au rassemblement. « Nous allons continuer notre action, ce n’est pas que le défi des Don Quichotte, c’est celui de tout le monde » , martelait Martin Choutet. Vers 17 heures, la petite troupe a été rejointe par les représentants d’AC le feu, Emmaüs, le Secours catholique, le Dal… « Les enfants de Don Quichotte constituent une association responsable qui sait faire confiance aux mouvements associatifs, a déclaré Pierre Levené, secrétaire général du Secours catholique. Si nous nous contentons de réclamer poliment les choses, nous ne sommes pas entendus. Nous sommes donc obligés de nous fâcher » . Responsabilité, citoyenneté. Les mots d’ordre sont clairs. Pas pour faire la leçon. Pour secouer. Et montrer qu’on peut joindre le geste à la parole : « Plus de tentes ? On s’installera dans des duvets » . Samedi soir, vers 23 heures, il n’y avait quand même plus grand monde devant Notre-Dame. Seul le grand sapin de Noël un peu désolé, et les cars de police qui rentraient au bercail. Fin des opérations ? Voire.

Dès dimanche, Augustin Legrand annonçait un prochain campement. Dans Paris si possible, au fond du bois de Vincennes s’il le faut. Les Don Quichotte ne désarment pas. Déterminés à maintenir le rapport de force contre les moulins à vent du ministère. Qui n’en peut mais de brasser des satisfecit. Après la bataille des symboles, la bataille des chiffres : les engagements pris dans le cadre du Plan d’action renforcé en faveur des sans abris (Parsa) n’ont pas été tenus, dénoncent les Don Quichotte qui participent au Comité du suivi de ce plan. 13 000 places d’hébergement manquent sur les 27 000 prévues. « Nous avons atteint les 21 000 places promises » , conteste Christine Boutin. Mensonge ou stratégie ? « Madame Boutin manque de moyens » , elle est « victime de son excès de zèle » , jugent les Don Quichotte qui appellent aussi le « responsable de la politique menée » , Nicolas Sarkozy, à « étudier sérieusement les propositions des experts pour rendre effectif le droit au logement opposable » .

Forts de leur capital sympathie, les Don Quichotte ont réussi à faire grimper la pression. Lundi, Christine Boutin a reçu les associations « institutionnelles » d’aide aux sans-abri. Le premier ministre, François Fillon, devant « calmer la polémique » le lendemain. Après l’usage de la force, le gouvernement fait valoir la reprise du dialogue… Mais que pourra-t-il se dire dans les officines que personne ne sait déjà ? Le 5 décembre, les associations d’insertion rassemblées en conférence de consensus sous l’égide de la Fnars ont publié un rapport de soixante pages détaillant les mesures à prendre pour « sortir de la rue » : respect des engagements du Parsa et du Dalo ; reconnaissance du droit inconditionnel d’accès à un accueil ; prévention des expulsions locatives ; non abandon des sortants d’hôpital ou de prison ; bourse d’insertion pour les 18-25 ans ; mutualisation des dispositifs de prise en charge ; cohérence interministérielle… « Les solutions existent. Il n’y a pas de fatalité » , s’époumonent les Don Quichotte. Symbolique, médiatique… prenant la parole au nom des invisibles mais aussi des associations qui peinent à se faire entendre, c’est bien une action politique que mène cette association. Gageant sur l’extension de la zone de responsabilité, via des toits de toile, ou sans.

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