La gauche reprend ses droits (et son nom)

Face à la dérive vers le centre que représente le Parti démocrate, la quasi-totalité des organisations et des mouvements à sa gauche s’est unie sous le nom de « Gauche-Arc-en-ciel ».

Olivier Doubre  • 13 décembre 2007 abonné·es

Un congrès (historique) ? Un séminaire de réflexion ? Un mouvement de masse ? Une sorte de forum social ? Nombreux sont les commentaires qui penchaient lundi sur cette dernière analogie. La tenue, le week-end dernier à Rome, de « l’assemblée » des organisations et mouvements de la gauche « de la gauche » (que les grands médias se bornent à nommer « radicaux ») était attendue depuis plusieurs mois. Il s’agissait ni plus ni moins de réaliser l’unité de ces forces, particulièrement divisées en Italie, à la gauche de la sociale-démocratie.

Après la fusion (cf. Politis n° 949) et (cf. Politis n° 972.), le 14 octobre dernier, en un Parti « démocrate » (PD), des héritiers de la Démocratie-Chrétienne opposés à Berlusconi (emmenés par Romano Prodi) et des successeurs les plus modérés du Parti communiste italien (les Démocrates de gauche), ces derniers avaient vu une partie non négligeable de leurs membres (environ 20 % de leur poids électoral) refuser cette alliance tournée vers le centre et se constituer en « Gauche démocratique ». Dotés de forts ancrages locaux, ils emmenaient alors dans leurs rangs une vingtaine de députés et dix sénateurs, tout en demeurant au sein de la très courte majorité parlementaire du gouvernement Prodi. Face au recentrage du centre-gauche induit par la naissance du nouveau PD et, surtout, à sa volonté hégémonique non dissimulée de se constituer en unique force d’opposition à la droite berlusconienne, toutes les organisations sur sa gauche risquaient de fait une réelle marginalisation. Aussi, la Gauche démocratique accepta d’emblée de discuter d’une éventuelle union avec le reste des forces politiques sur sa gauche, quasiment sans exclusive. Un sérieux coup de pouce à ce projet unitaire fut la manifestation du 20 octobre à Rome « contre toutes les précarités », qui rassembla près d’un million de personnes (cf. Politis n° 973.), confirmant l’attente populaire de voir naître une véritable force politique capable de peser sur un gouvernement Prodi régulièrement soumis aux diktats de la part la plus centriste de sa fragile majorité, le menaçant sans cesse de changer d’alliances.

Après maintes discussions préparatoires, dirigeants et adhérents des Verts, des deux partis revendiquant le nom de communistes (Rifondazione comunista et le petit PdCI, Parti des communistes italiens) et de la Gauche démocratique se sont donc retrouvés dans la salle de la Foire de Rome samedi dernier, rejoints par des représentants des mouvements pacifiste, féministe, gay-lesbien-bi et transgenre, sans oublier certains militants altermondialistes. Au total, plus de sept mille personnes ont participé, en laissant pour la plupart leurs drapeaux d’origine à l’entrée, à des débats où les leaders de partis politiques présents ont soigneusement évité tout signe de récupération. Une des caractéristiques importantes de cette réunion, justifiant la comparaison avec un Forum social, résidait ainsi dans le fait que cette « assemblée » unitaire, qui se tint, selon le mot du journaliste de Liberazione , le quotidien de Rifondazione comunista, dans un « joyeux chaos créatif » , parvint à dépasser les logiques d’appareils et de leaderships, souvent handicapantes dans ce type de réunions. Il s’agissait en effet d’abord de « repartir par le bas, de la base » , en vue de la rédaction d’un « Manifeste » unitaire. D’où la place prépondérante donnés aux neuf ateliers thématiques, suivis assidûment par les participants, sur des thèmes allant de « la paix » aux questions environnementales, des « droits sociaux » à l’immigration… Seules la tendance trotskiste de Rifondazione ou celle « orthodoxe » du PdCI se refusèrent à rejoindre ce processus qui, le dimanche après-midi, parvint à un accord sur les valeurs constituantes de cette véritable nouvelle fédération, « la Gauche arc-en-ciel ». À eux seuls, le logo et le nom témoignent d’emblée de l’effort des participants les plus nombreux (issus de la culture communiste), qui ont accepté d’abandonner les symboles de la faucille et du marteau…

Au lendemain de la naissance de ce sujet politique novateur, rappelons que les spécialistes de science politique présentent traditionnellement l’Italie comme un laboratoire innovant, voire précurseur, des évolutions de la vie politique européenne. Espérons donc que la naissance de cette organisation, au nom coloré, puisse constituer un exemple à suivre pour les gauches « de gauche » de ses voisins. En souhaitant « longue vie à la Sinistra ! »

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