La vérité sur le pouvoir d’achat

Liêm Hoang-Ngoc  • 6 décembre 2007 abonné·es

Le Medef ne cesse de proclamer que la baisse du pouvoir d’achat est « ressentie » et non pas réelle, chiffres de l’Insee à l’appui. Parce qu’il représente une moyenne, l’indicateur de pouvoir d’achat du revenu disponible de l’Insee ne rend en effet pas compte de la dégradation subie par l’immense majorité de la population. Or, la répartition des revenus est devenue de plus en plus inégalitaire. Le revenu « déclaré » (sic !) des 10 % de foyers les plus riches s’est élevé de 32 % entre 1998 et 2005, alors que celui des 90 % restants n’augmentait que de 4,6 % [^2]. Pour le 1 % supérieur, l’augmentation a été de 42,6 %. Le revenu médian, proche de 1 480 euros mensuels, n’évoluait, quant à lui, que de 0,6 %. En bas de l’échelle, 7,1 millions de pauvres survivent désormais en France avec un revenu inférieur à817 euros (correspondant au seuil de pauvreté de 60 % du revenu médian). Le revenu réel de la grande majorité des Français a donc baissé, en raison d’une inflation de 2 % par an. Pour une grande partie de la population, la perte de pouvoir d’achat est d’autant plus réelle que l’indice des prix de l’Insee est construit à partir de la pondération des biens entrant dans le panier de la ménagère. Cette pondération sous-estime notamment le poids du logement, qui est devenu le premier poste budgétaire des ménages, alors que l’indice de l’Insee le place en troisième position (sa part estimée dans la dépense des ménages est seulement de 15 % !), derrière les transports et l’alimentation.

Si l’on entre dans les détails, l’accroissement observable des inégalités est dû à l’explosion des très hauts salaires et des revenus du patrimoine au cours des dix dernières années, alors que les revenus de l’immense majorité de la population stagnaient. Les revenus des capitaux mobiliers se sont ainsi accrus de 31 % entre 1998 et 2005. Ils représentent 10 % du revenu des foyers les plus privilégiés, alors que les ménages modestes n’épargnent pas, faute de ressources suffisantes. Quant aux revenus salariaux, la progression du salaire moyen de 1,5 % par an depuis 1978, mise en évidence par l’Insee, ne rend pas compte de la situation du nombre croissant de salariés subissant le travail précaire et bénéficiant donc d’un nombre inférieur de jours rémunérés. C’est pourquoi l’Insee calcule désormais le revenu salarial net, en tenant compte du fait que la part des salariés qui ne sont pas à temps complet sur l’année (en CDD, intérim ou temps partiel) est de 31 %, contre 17 % en 1978. Ce nouvel indicateur montre alors que le revenu salarial net moyen a stagné entre 1978 et 2000 et qu’il a baissé de 0,5 % entre 2000 et 2005, malgré les revalorisations du Smic horaire. Ces moyennes masquent enfin des disparités salariales qui se sont accrues. Entre 1998 et 2005, le salaire de 90 % de la population ne s’accroissait que de 4 % quand l’inflation progressait de 13 % au total. Au cours de la même période, les 10 % des salariés les mieux rémunérés voyaient leurs salaires augmenter de 29 %. Le 1 % des plus hauts salaires bénéficiait d’une hausse de 41 %.

Le pouvoir d’achat a donc bel et bien augmenté pour les cadres et les actionnaires du nouveau capitalisme. La consommation des classes riches est d’ailleurs devenue le seul moteur de la croissance. Compte tenu de leur forte propension à épargner, le paquet fiscal dont ils ont bénéficié sera sans autres effets macroéconomiques que de gonfler les bulles immobilière et boursière. En revanche, le pouvoir d’achat a baissé pour l’immense majorité du peuple, qui consomme l’intégralité de son revenu et est de plus en plus condamnée à s’endetter dès le début de chaque mois.

Les politiques de rigueur salariale expliquent en grande partie le déplacement de 10 points du partage des revenus en faveur des nouveaux rentiers, dont les valets n’ont de cesse de sommer les gueux et les vieux de travailler plus ! On a su, à partir de 1983, organiser la désindexation des salaires sur les prix. L’inflation salariale a depuis disparu. Un gouvernement sait, « techniquement », comment procéder pour accroître la part des salaires dans la valeur ajoutée. Il peut augmenter les fonctionnaires pour indiquer le chemin à suivre dans le secteur privé, revaloriser le Smic, organiser le relèvement des minima de branche pour provoquer une hausse pour tous les niveaux dans les grilles salariales. Pour relancer le pouvoir d’achat, il peut aussi baisser la TVA : le coût de la baisse d’un point est de 6 milliards d’euros, soit 2,5 fois moins que le paquet fiscal…

[^2]: Les Hauts Revenus en France (1998-2006) : Une explosion des inégalités ?, Camille Landais, Paris School of Economics, juin 2007.

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