Le paradoxe équitable

Pour obtenir sa certification équitable et bio et trouver de nouveaux circuits de distribution, la coopérative Cepibo, au Pérou, doit vendre ses produits aux multinationales d’exportation. Est-ce une fatalité ?

Philippe Chibani-Jacquot  • 13 décembre 2007 abonné·es

Dans la région du Piura, aux confins nord du Pérou, la banane pousse bio par tradition. Le climat chaud et relativement sec limite largement les risques sanitaires et, contrairement au modèle d’exploitation extensive de son voisin équatorien, il n’y a que des petits producteurs dans le pays. « Il n’y a pas eu de tradition d’exportation et d’exploitation industrielle, donc pas de contamination par des pesticides et certains parasites qu’on trouve dans les zones de culture intensive , explique Nicolas Eberhart, d’Agronomes et Vétérinaires sans frontière (VSF-CICDA). Mais les producteurs sont confrontés à une filière habituée à travailler avec les grosses multinationales, qui ont un niveau de contrôle du marché très fort. » « La certification bio était un moyen d’entrer en concurrence avec la production de l’Équateur, qui dispose de soixante-dix ans d’expérience dans l’exportation de la banane conventionnelle » , raconte José Lecarnaqué, président de la coopérative Cepibo [^2], qui regroupe 1 300 producteurs depuis 2003.

Illustration - Le paradoxe équitable


Les grands exportateurs s’intéressent aux bananes bios du Pérou.
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Le fait est que les exportateurs se sont intéressés à la production bio. La multinationale américaine Dole, notamment, qui a financé la certification des producteurs à la fin des années 1990, époque où les coopératives n’existaient pas. « La certification, dans les mains des entreprises exportatrices, est devenue un outil de pression sur les producteurs. Nous avions un contrat individuel qu’il fallait signer tel quel. Et nous ne pouvions vendre à une autre entreprise sous peine de perdre la certification » , explique Adolfo Zelada, responsable de la commercialisation de la coopérative.

C’est pour peser sur les négociations avec les exportateurs que Cepibo, fédération de huit groupements de producteurs, naîtra en 2003. Le rapprochement avec le commerce équitable est une suite logique qui aboutit, en mars, à la certification Fairtrade de Cepibo par Flo-cert. « Le commerce équitable ne doit pas uniquement nous apporter un débouché, mais aussi nous aider à renforcer notre organisation afin de mieux faire valoir nos droits », précise José Lecarnaqué.

Un premier point a été marqué en aidant les coopératives péruviennes à récupérer la propriété de leur certification bio, élément essentiel de leur indépendance. « L’argent de la prime de développement a permis [à certaines coopératives] [^3] de financer le coût de la certification », explique Christophe Alliot, chargé des affaires internationales chez Max Havelaar-France. Avec une production à 100 % équitable et bio, le soutien d’ONG comme VSF-CICDA et le soleil qui se lève chaque matin sur les plantations, l’avenir pourrait s’annoncer radieux pour les producteurs de Cepibo. Pourtant, rien n’est joué.

Pour l’heure, Cepibo ne vend que 13,5 % de sa production à un prix équitable. Ce faible pourcentage s’explique par la récente entrée de l’organisation dans le réseau équitable. Il pourrait grimper après le voyage en Europe de deux de ses représentants. Paradoxalement, les bananes équitables de Cepibo sont achetées par les mêmes multinationales qu’avant, notamment Copdeban, filiale péruvienne du géant Dole. « Dole nous achète un container de bananes bios et équitables pour seize containers en bio , explique le président de Cepibo *. Étant donné que nous n’assurons que la production et pas l’emballage [^4], ce qui est nécessaire pour accéder au marché de l’exportation, FLO assure qu’il faut vendre aux transnationales en commerce équitable. »* Pour Christophe Alliot, « la question est : combien de circuits d’exportation sont à la disposition des producteurs et comment faire pour ne pas créer de nouvelles dépendances ? » Autrement dit, c’est le rapport de forces entre producteur et exportateur qui est en jeu, et non la relation d’affaire. Ce pragmatisme, éloigné d’un des fondamentaux du commerce équitable, qui était de libérer le producteur des multiples intermédiaires qui se servaient sur son dos, interroge clairement la place des exportateurs dans la chaîne de commercialisation équitable. Ce que résolvent certains opérateurs qui refusent toute relation avec les exportateurs. Flo International se pose la même question à l’heure d’une réflexion sur ses futurs axes stratégiques. Du côté de Cepibo, l’objectif reste de « progresser vers un circuit de vente plus direct et, si possible, de vendre 100 % de [sa] production en équitable. »

[^2]: Central Piruana de Asociaciones de Pequenos Productores de Banano Organico.

[^3]: Actuellement, huit coopératives péruviennes sont accréditées par FLO International.

[^4]: Certaines coopératives ont bénéficié d’appui, de la part de FLO et d’ONG, pour disposer de leur propre unité d’emballage et se défaire de ce verrou qui nuit à leur indépendance.

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