Le prix du sang

À travers trois affaires criminelles, Bernard George démonte le mécanisme des emballements médiatiques.

Jean-Claude Renard  • 13 décembre 2007 abonné·es

Coupables, forcément coupables. Dans les journaux, aux yeux de l’opinion. Avant d’avoir été jugés. Coupables médiatiques. Et plus le crime est horrible, mieux la machine s’ébranle. Balle peau pour les innocents entraînés dans l’hystérie collective. Telle est « la mécanique du pire » démontée par Bernard George, suivant trois exemples : les accusés d’Outreau, Jean Chouraqui, Dominique Baudis. Tous innocentés par la suite.

Pour que la machine s’enclenche, il faut un crime abominable. Ingrédient essentiel. Et un présumé coupable idéal, celui qui focalise, dans un mélange étrange, attirance et dégoût du public, et qui génère ainsi gros tirages et audiences. Pour Jean Chouraqui, patron de clinique marseillais, soupçonné, au début des années 1990, d’avoir commandité le meurtre de deux concurrents, « une certaine presse fabrique un produit comme elle fabriquerait des chaussettes » . Une confection redoutable : il a vécu vingt-huit mois d’incarcération. Toujours pour la même affaire, se rappelle un journaliste de France Info, « les tuyaux qui sortent sont ceux de la PJ, non pas avec des doutes mais des certitudes » . Si Chouraqui a été l’objet d’une présomption de culpabilité, la presse a enflé les rumeurs, érigé l’affaire en feuilleton, sans prendre ni le temps ni le recul nécessaire à toute investigation.

De l’affaire Baudis aux accusés d’Outreau, on observe combien la presse, surtout la presse écrite et la télévision, se fond dans l’hyperbole, la concurrence d’audience poussant à l’inflation. Les instructions ne sont plus judiciaires mais médiatiques. Le crime est assez trempé d’horreurs pour attirer. À Outreau, se souvient Florence Aubenas, « le premier fantasme se met en place quand les rumeurs impliquent des notables » . La presse avance alors sans filet. Et s’emballe, parce qu’elle a besoin d’images. On connaît la suite.

D’une affaire à l’autre, ce sont des réalités qui restent sans leçon. Ça recommence ailleurs. Quelle que soit l’affaire, les lieux, l’époque, l’histoire se répète, les ressorts fonctionnent toujours de la même manière. Au lendemain de l’effondrement des accusations d’Outreau, les médias se sont reportés sur la justice, absolvant ses erreurs, ses mensonges, ses calomnies véhiculées durant des années. Qu’importe, pourvu qu’à chaque fois le public soit captivé et que les ventes, ou les audiences, augmentent.

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