« Un commerce transparent »

Valérie Delamerie, gérante d’Azimuts, une entreprise pionnière dans la conception de vêtements équitables et bios, raconte les difficultés rencontrées au Népal.

Thierry Brun  • 13 décembre 2007 abonné·es

Voilà plus de dix ans que l’entreprise de commerce équitable Azimuts conçoit des vêtements en coton bio avec des artisans du Népal. Vous revenez de ce pays toujours politiquement instable. Dans quelles conditions se pratique un tel commerce ?

Valérie Delamerie : Les problèmes sont nombreux et liés à la situation politique. Depuis 2003, cinq gouvernements se sont succédé au Népal. Le pays tente de sortir du royalisme, avec un roi héréditaire qui a pouvoir sur tout, pour passer à l’embryon d’une république. Un processus électoral pour la mise en place d’une assemblée constituante était prévu en septembre, puis en novembre. Il a été annulé. Depuis plusieurs années, la rébellion maoïste soutient qu’il faut aller vers une république. Bien que favorables à la proportionnelle intégrale, les maoïstes ont accepté le système électoral mixte mis en place. Constatant qu’ils n’avaient pas la popularité nécessaire pour remporter les élections, ils les ont fait capoter. De plus, ils bloquent la circulation par endroits et imposent des journées de grève. Toute personne qui refuse risque de voir son véhicule ou sa boutique brûler. De petits partis politiques se sont constitués en réaction et deviennent de plus en plus populaires, mais ils utilisent les mêmes méthodes d’intimidation.

Comment travaillez-vous dans ces conditions ?

Nous prenons des risques importants pour transporter notre coton biologique. Récemment, notre camion qui venait de l’ouest de l’Inde est resté coincé à la frontière du Népal, où plus d’une dizaine de camions ont été brûlés. Par chance, pas le nôtre, mais il est resté à la frontière presque deux mois. Les artisans sont pris entre la nécessité de produire et le climat politique. Parallèlement, nous sommes dépendants de nos clients qui veulent absolument avoir leur collection dans les temps. Mais quand les maoïstes imposent une journée de grève, il n’est pas question de faire fonctionner l’atelier… C’est trop dangereux.

Comment résistez-vous à ces obstacles ?

Nous essayons d’avoir trois à quatre mois d’avance pour anticiper de tels événements.

Il nous arrive cependant d’être en rupture de coton pour la confection des shamas et kurthas , qui font l’essentiel de notre collection. On doit donc faire attendre nos partenaires. Ils nous disent souvent qu’ils nous soutiennent, qu’ils apprécient notre éthique.Mais ils sont habitués au fonctionnement général du commerce, c’est-à-dire à ce que tout soit là dans les délais. De plus, notre retour sur investissement est très étalé dans le temps, car il nous faut acheter le coton, le faire filer en Inde et le faire tisser au Népal avant de pouvoir démarrer la confection. Notre banquier a compris qu’il nous fallait acheter une grosse quantité de coton bio pour améliorer les délais.

En France, il y a de plus en plus de nouveaux acteurs dans le commerce équitable de vêtements. Cela vous pose-t-il des difficultés ?

Au début, nous étions une des rares entreprises de commerce équitable de vêtements au milieu d’associations. Selon nous, le commerce équitable doit être simplement du commerce.Le but étant, à long terme, de faire bouger les rouages du commerce international. Nous avons été d’abord plutôt satisfaits de voir que de nouvelles entreprises étaient créées. Aujourd’hui, émergent des entreprises pour qui le commerce équitable est surtout un tremplin pour se démarquer.

Il y a des marques bidons, des sociétés qui se contentent d’avoir des relations directes avec un producteur ou un fournisseur sans se préoccuper des conditions de travail des ouvriers. Tant que l’entreprise européenne qui prétend faire du commerce équitable ne met pas en place elle-même un mode de fonctionnement pour que les ouvriers soient mieux rémunérés, il n’y aura pas de répercussions favorables pour les salariés. En réponse à l’utilisation abusive et mercantile du terme « commerce équitable », nous exigeons la transparence
[^2]
. Depuis 2003, nos comptes sont accessibles sur le site <www.commerce-transparent.fr>. On y trouve le coût de production de chaque vêtement, le coût du transport et de la commercialisation, le montant des salaires. Des informations contrôlées par un commissaire aux comptes. Après un audit des structures travaillant avec nous au Népal, réalisé en 2004, un deuxième se tient en ce moment. Le rapport du commissaire aux comptes sera mis en ligne.

[^2]: Azimuts-artisans du Népal est à l’origine de l’association et du site Transparent Trade, « une nouvelle façon d’envisager le commerce dont la base est la publication exhaustive sur Internet de la réalité des différentes étapes constituant les filières de production, transport, commercialisation et distribution de tous types de biens de consommation ou de services » .

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